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que s’employait quotidiennement cette pensée cultivée. Son oncle Volusianus, un jour, lui rappelait avec émotion son enfance, le temps où ses parens l’élevaient « comme une rose, comme un lis, comme la pupille de leurs yeux. » On l’avait élevée pour être un ornement, dont s’enorgueillirait la société de l’époque ; elle s’était réduite au rôle d’utilité. On l’avait mise à même de jouir du beau ; elle faisait élection des beautés de la littérature chrétienne, et comme une manœuvre elle les copiait. On l’avait formée, enfin, pour qu’au gré de ses caprices, elle s’amusât et s’attardât tour à tour, en compagnie des grands auteurs susceptibles de procurer à son goût difficile certaines voluptés choisies ; elle devenait la femme d’un seul livre, la Bible. On avait mis à sa portée les lettres païennes, elle se mettait aux ordres des lettres chrétiennes ; elle renouvelait sans cesse à la Bible et aux Pères un don qui lui paraissait plus précieux, peut-être, que le don même de ses biens : le don de sa pensée.

De voir cette intelligence de femme mêlée de très près aux deux grands différens dogmatiques qui troublèrent l’Église de son temps, c’est là un spectacle dont on ne pourrait manquer d’être surpris si l’on était tenté de prendre à la lettre le mot de la Première Épitre aux Corinthiens : Mulieres in ecclesiis taceant ! Nous savions déjà par saint Augustin quels efforts avait dépensés Mélanie pour obtenir de Pelage certaines déclarations qui missent un terme, pour un temps, aux éternels débats sur la grâce et la prédestination ; et deux livres de l’évêque d’Hippone, le Traité de la grâce et le Traité du péché originel, sont dédiés à la sainte en souvenir de ces délicates démarches. Le biographe à son tour raconte avec attrait certain voyage que fit Mélanie de Jérusalem à Constantinople : les opinions nestoriennes sur la nature du Christ trouvaient crédit, alors, dans la haute société byzantine, et la patricienne de Rome survenait, comme l’apôtre de Byzance. « Beaucoup de femmes, de sénateurs et d’hommes illustres dans les lettres, écrit Gerontius, se rendaient chez notre sainte mère pour discuter avec elle de la vraie foi, et Mélanie, dans le cœur de laquelle habitait l’Esprit Saint, ne cessait, du matin au soir, de raisonner des choses divines ; elle rappelait ceux que l’erreur avait séduits, elle raffermissait les hésitans, elle venait en aide à tous. »

Quarante ans auparavant, lorsqu’un subtil questionneur, qu’on croit être Palladius, l’auteur de l’Histoire Lausiaque, était venu troubler sainte Paule par des interrogations sur la préexistence