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Il y a des gens qui s’offensent, ô Paula et Eustochie, de voir vos noms en tête de mes ouvrages. Ces gens-là ne savent donc pas que pendant que Baruch tremblait, Deborah sauvait Israël ; que Judith et Esther délivrèrent aussi du péril suprême le peuple de Dieu ? Je passe sous silence Anne et Elisabeth ; et les autres saintes femmes de l’Evangile, humbles étoiles d’ailleurs si on les compare au grand astre de Marie. Parlerai-je maintenant des femmes illustres chez les Gentils ? Il faudrait des volumes pour dire tout ce que la Grèce et Rome ont produit de femmes admirables. Je n’ajouterai qu’un mot : n’est-ce pas aux femmes qu’après sa résurrection Notre-Seigneur est d’abord apparu ? Oui, et les hommes purent rougir alors de n’avoir pas cherché ce que les femmes avaient trouvé.


Parce que les femmes qui aimaient Jésus avaient voulu savoir, elles avaient su, au matin de Pâques, ce que personne encore ne savait. Saint Jérôme aimait cette tendresse inquiète : il attirait en Palestine toutes les patriciennes sur lesquelles il avait prise, afin qu’elles y retrouvassent les pas du Christ et qu’elles y missent les leurs, afin qu’elles vissent après avoir cherché, afin qu’elles devinssent savantes parce que croyantes… La dévotion ignorante n’était pas de son goût. « Il y a des gens, disait-il un jour, qui pensent pouvoir couvrir l’ignorance par la piété : cette sainte rusticité, bonne pour elle seule, peut édifier l’Église, mais elle ne peut pas la défendre. » La chrétienne telle qu’il la concevait était en quelque sorte chargée du bon renom de l’Église : il la voulait savante et dévote, philologue et mystique, et lui traçait un programme de vie dans lequel l’érudition et la contemplation se mêlaient intimement, et se confondaient presque.

On dirait, à lire l’écrit de Gerontius, que Mélanie la Jeune, l’amie de Rufin, reproduisait dans sa propre existence l’idéal recommandé par saint Jérôme. Ses conversations, que le biographe, parfois, répercute jusqu’à nous, étaient émaillées de souvenirs bibliques : c’est qu’en effet, quatre fois par an, Mélanie lisait d’un bout à l’autre les saints livres ; elle en faisait des copies, et copiait, aussi, les écrits des Pères. Il advenait, pour accélérer la besogne, qu’elle se fît dicter par une de ses sœurs les passages qu’elle transcrivait : si la lectrice faisait quelque faute de lecture, immédiatement, de mémoire, Mélanie rectifiait. Les copies manuscrites de Mélanie étaient ensuite vendues au profit des pauvres ; ainsi, d’un même élan, elle approfondissait la doctrine et faisait la charité. C’est dans ces besognes d’humilité intellectuelle