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de se coaliser, mais sans concert préalable, grâce au droit de réunion, et surtout grâce à la tolérance du pouvoir, la loi de 1791 était escamotée, traitée comme un Géronte de la comédie politique ; et la loi de 1884 n’avait qu’à mettre d’accord le droit et la pratique, en enregistrant les faits accomplis, en fondant ensemble deux principes trop longtemps opposés l’un à l’autre : la liberté individuelle, la liberté d’association. Mais le commerce et l’industrie seuls avaient profité de cette complicité bienveillante du gouvernement : l’agriculture n’en tirait aucun parti ; les sociétés ou comices agricoles n’avaient pas pris l’initiative ; leur composition, leurs tendances, leurs procédés, les empêchaient de pénétrer jusqu’au tréfonds du mouvement coopératif, de rendre tous les services qu’on eût été en droit d’attendre de tant d’hommes distingués et dévoués qui les dirigeaient.

Le mot de l’article 6 fit cesser cette demi-léthargie, suscita par centaines, par milliers, les courages : c’était le fil conducteur du labyrinthe, le phare libérateur apparaissant au marin dans la nuit, le remède possible à la crise agricole qui commençait. « Nous sommes le nombre, s’écriait M. Deuzy, nous serons la force. Quand Lacordaire, en 1848, parut à la Chambre, enveloppé de sa robe blanche de dominicain, à ceux qui s’étonnaient de sa présence en un tel lieu, il répondit : « Je suis une liberté. » La loi du 21 mars 1884 n’est pas seulement une liberté ; si vous savez en user, c’est le relèvement et la prospérité de l’agriculture. Nous voulons, avec l’aide d’une puissante association, fournir aux cultivateurs les moyens de soutenir la lutte contre la concurrence étrangère ; nous voulons que nos fabriques, nos usines, nos ateliers, rallument leurs feux ; que les fermes abandonnées retrouvent, avec leurs habitans, le mouvement et la vie ; que l’ouvrier agricole et industriel puisse mettre la poule au pot le dimanche. » Il faut demander beaucoup à l’idéal, aux hommes et aux choses, pour obtenir un peu : et c’était de bonne politique d’agrandir dans tous les sens l’horizon économique et moral des intéressés. Les défenseurs de l’agriculture voulaient que celle-ci ne remplît pas plus longtemps dans l’État le rôle de la femme dans la société japonaise, qu’on ne la traitât plus de malade imaginaire quand elle se plaint ; ils voulaient faire en sorte que les ruraux, émiettés sur la surface du sol, isolés, disséminés, fussent groupes en corps d’armée solides, afin de lutter avec succès contre les