abeilles font leur ruche, la certitude d’une maison de retraite cantonale ou communale, du secours à domicile pour les vieux serviteurs de l’agriculture passant leurs dernières années dans leur village, au milieu de ceux qu’ils ont toujours connus, des champs et des bois aimés[1]. Elles auraient aussi maintenu des influences de tradition, de modération, de sérénité, aussi nécessaires que les influences de mouvement, d’inquiétude, d’évolution, et qui sont en quelque sorte le lest, le contrepoids de celles-ci dans la grande balance mystique de l’humanité : il semble qu’elles commencent à comprendre leur rôle ; mais il sera bien plus difficile maintenant de réussir, parce qu’on a longtemps abandonné la route sans l’entretenir, que ravins, fondrières, épines et ronces de toute sorte l’ont envahie.
Il m’arriva, un jour de mauvaise humeur, de comparer à des malfaitrices inconscientes les femmes qui se consacrent très noblement au soin des pauvres dans les villes : boutade de rural mécontent de voir tant de vertus mal dirigées, tant de bienfaits prodigués aux uns, l’oubli presque complet des autres. La charité privée elle-même doit être organisée, disciplinée, soumise à des vues d’ensemble, libre sans doute de s’épanouir à son gré, mais sa liberté même implique sa responsabilité : et qui ne sait qu’avec les meilleures intentions du monde on peut produire beaucoup de mal ? Bien entendu, le mot de Talleyrand ; « Pas de zèle, » est d’un sens profond. Pas de faux zèle, pas d’engouemens irréfléchis, pas d’élans inconsidérés ! Cent francs donnés à propos peuvent faire plus d’effet que mille francs dispersés au hasard. La noblesse française qui se ruait follement contre l’ennemi à Poitiers et Azincourt, qui partait pour l’émigration en 1790, croyait sauver son roi et son honneur. Les révolutionnaires qui s’imaginaient jadis servir leur cause par des émeutes, des tentatives de régicide, ne songeaient guère qu’ils fortifiaient les idées de gouvernement. Les catholiques trop ardens qui prêchaient la politique du tout ou rien, la politique des catastrophes, n’ont-ils pas fourni des armes contre eux-mêmes et leur foi ? Dans tous les ordres, on ne saurait trop le répéter, faire le bien n’est pas seulement un instinct, c’est aussi un art et une science très compliquée qui exigent un grand cœur et une intelligence universelle.
- ↑ Un écrivain belge, Jacques Jacquier, a écrit là-dessus des pages imprégnées d’une émotion délicate et d’un profond sentiment de la vie rurale.