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retour, de prendre sous son toit la brave fille aux yeux noirs qu’il rencontre à Weimar, accorte, souriante et bonne. « Gœthe avait besoin, quand il revint à Weimar, d’avoir une femme auprès de lui... Il ne demandait que la santé, la fraîcheur, la jeunesse, et l’attachement. Il trouve une belle fille et la prend, sans s’inquiéter de sa position sociale. » Fort bien. Et il eut grand raison de préférer une bonne bourgeoise, une franche compagne, facile à vivre, une bonne camarade, à une poupée aristocratique. Nous accorderons aussi volontiers à son critique que « Gœthe n’a jamais été un débauché, » et qu’il n’y a pas « un seul passage obscène dans toute son œuvre ; » bien qu’il fût aussi, à l’occasion, a un vigoureux réaliste. » Mais, précisément parce que « Gœthe connaissait les deux côtés de la nature humaine, » il reste que c’est du côté réaliste qu’il versa, quand il épousa Christiane Vulpius.

Nous ne voudrions, pour rien au monde, nous ranger, sur quelque point que ce soit, dans le camp peu glorieux des ennemis de Gœthe[1], où tant de petits esprits et de cœurs aigris se sont donné rendez-vous. Quoi que l’on puisse penser du caractère de Gœthe, — le génie n’est pas en cause, — on ne peut qu’admirer chez lui ce que tous ceux qui l’approchaient ressentaient avec admiration, aussi bien (pour citer des Français) David d’Angers, qui se sentait tout réchauffé à cette lumière après l’accueil glacial de Walter Scott, qu’Ampère, par exemple, qui écrivait, après une visite au Maître : « Ce qui le caractérise, c’est cette faculté merveilleuse d’embrasser tout, de s’intéresser à tout, d’être sensible à tout ce qui se fait de bon partout, et dans tous les genres. »

Nous demandons seulement qu’on nous comprenne ici, et sur ce point précis. Il ne s’agit en rien, du sensualisme des Élégies romaines, ou de sottes plaisanteries sur a la main qui badine. » Il y a, uniquement, un fait indéniable, que tous les critiques ont constaté, d’un arrêt très marqué dans la production littéraire de Gœthe, et dans la valeur de cette production, pendant les années qui suivirent son mariage. Et si ce n’est là qu’un indice, qui ne mène pas très loin, il reste en tout cas cette vérité supérieure, à savoir que son mariage n’a pas élevé Gœthe sur le plan de sa vie psychique. Des trois ordres dont parle Pascal, et que celui de la charité et de l’amour domine, ce n’est pas sur ce plan supérieur que se fit l’union de Gœthe et de Christiane Vulpius. On a fait

  1. Cf. Dr Holzmann, Dans le camp des ennemis de Gœthe. (Berlin, 1904.)