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des amourettes, et dans son mariage même il n’a pas rencontré l’amour digne de lui. Depuis la Gretchen de ses seize ans, avec Frédérique Brion, la simple et modeste fille du bon pasteur de Sesenheim, en Alsace ; avec la douce Lotte Buff, la Charlotte de Werther ; avec la brillante Lili Schönemann, la belle Mme de Stein, jusqu’au jour où il prit Christiane Vulpius, la brave bourgeoise, pour sa femme, les amours de Gœthe ne sont que des aventures amoureuses, et le seul mot qui leur convient les juge en même temps. Aventures de poète, certes, et de grand poète, qui fait un miel d’or des baisers butinés sur des lèvres en fleur. Comme le remarque très bien H. Grimm, elles sont le fruit de son imagination, de son enthousiasme, de sa sensibilité, plus que de son cœur. Il voit une jeune fille, la pare de tous les feux de son âme, en fait une déesse, puis, au moment critique, il se calme soudain, le feu d’artifice s’éteint, la fleur merveilleuse se fane, et l’oiseau de grand vol qui refuse de se laisser attacher s’enfuit dans la nuit. Amourettes et aventures qui sont aussi, à côté de matière à poésie, des expériences d’homme, et de grand homme, qui laisse la vie façonner son génie, et en apprend, un à un, les horizons plus vastes. « Chaque nouvelle aventure de cœur chez Gœthe, se joue devant un plus large horizon. Quand il courtise Gretchen, ou s’amuse avec les belles filles de Leipzig, la toile de fond est un mur d’auberge. A Strasbourg, la scène s’agrandit déjà. A Wetzlar, c’est la deutsches Haus, la maison amie des parens de Lotte, toute la petite ville, et les environs, qui forment le décor. Avec Lili, nous sommes sur la scène d’un grand opéra : musique, bals masqués, parties de tout genre. »

Et toujours, — comme l’avoue son critique qui, pour une fois, oublie son dieu pour aller d’un bond jusqu’à parler du diable, — toujours « cette impatience démoniaque de Gœthe de ne pouvoir souffrir aucun lien, même les plus chers. » Celle qu’il épousa, — car dès les premiers jours ce fut, en effet, un mariage, — Mams’elle Vulpius, comme l’appelaient dédaigneusement les grandes dames de Weimar, lui fut une fidèle compagne et une bonne ménagère. Son bonheur domestique, très réel, se lit tout entier dans cette ligne d’une lettre à Jacobi, d’avril 1793 : « Je suis heureux. La petite soigne bien la maison. » Et H. Grimm rattache très justement à l’influence, à l’attrait, au charme inoublié des franches coudées, des faciles habitudes adoptées par Gœthe dans la libre vie d’artiste menée à Rome pendant des années, sa brusque décision, à son