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envoyant des lettres de jussion. Les cours répétaient leur refus ; le roi renouvelait ses lettres et les choses allaient des mois, des années durant, jusqu’à ce que l’un des deux antagonistes se lassât. Quelquefois, quand l’affaire en valait la peine, Henri IV se fâchait, et la cour qui avait attiré la colère du prince passait un désagréable moment ; le plus souvent il laissait aller et les magistrats, avec le temps, avaient le dernier mot. Ils opposèrent ainsi à tous les dons octroyés à Marie de Médicis l’opposition par inertie la plus obstinée.

Malheureusement pour la reine, Henri IV était de connivence avec eux. Par une astucieuse machination il avait combiné avec les cours que lorsque celles-ci recevraient des édits de création d’office en faveur de qui que ce fût, elles pourraient ne jamais les enregistrer, malgré toutes les lettres de jussion du monde, si le roi ou Sully ne leur avaient pas écrit une lettre autographe spéciale les prévenant. Henri IV et son ministre appelaient cette lettre ce le mot du guet. » Quand il avait fallu céder aux sollicitations de la reine, le souverain, au moyen de ce procédé, pouvait retirer d’une main ce qu’il semblait avoir donné de l’autre : « Vous savez, rappelle-t-il à Sully, dans une circonstance de ce genre, que j’ai défendu aux cours d’entrer en l’enregistrement d’aucun édit si elles n’ont des lettres de ma propre main ou de la vôtre, quelque jussion qu’elles reçussent ou lettres de cachet qui leur fussent adressées. »

Pauvre Marie ! Que lui servait alors de se donner tout le mal qu’elle prenait afin de décider les diverses compagnies à accepter l’édit soi-disant signé par le roi qu’on leur expédiait ! En 1605, Henri IV lui avait accordé tout l’argent qui pourrait revenir « des rachats, sous-rachats, lods et ventes, aubaines, confiscations et autres droits seigneuriaux à échoir en Bretagne durant neuf années. » La chambre des comptes de Nantes refusait de vérifier l’édit. La reine obtint du roi lettres de jussion sur lettres de jussion : rien n’y faisait. Elle écrivit elle-même à tout le monde, premier président, présidents, conseillers, soit quinze lettres : elle plaidait sa cause avec chaleur : « Avant moi, expliquait-elle, d’autres ont joui de ce privilège qui n’estoient pas de ma qualité et n’avoient point plus de considération ni de mérite que j’en ai ! » La chambre restait insensible et répliquait qu’il fallait au préalable soumettre la question aux États de Bretagne. Nouvelle série de quinze lettres de la reine : « Mais les États, ripostait-elle avec