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Alors elle brocanta. A certaines heures difficiles, lorsqu’elle voulait un bijou trop cher et que le joaillier ne se décidait pas à vendre à crédit, elle fouillait dans ses coffres, ramassait des objets en or auxquels elle ne tenait plus et les vendait. Petite-fille de banquiers exacts, elle opérait sa vente dans des conditions de garantie suffisantes : devant elle on commentait par fondre cet or, au creuset : cadeaux de provinces, présents du roi, objets d’art, statuettes, bracelets : puis on pesait et la vente avait lieu au comptant, suivant le poids. Elle débita ainsi sa vieille vaisselle d’argent qu’on lui achetait de cette manière.

Elle mit au mont-de-piété en Italie. Ce fut une affaire longue et confuse. Bien avant elle, les rois de France du XVIe siècle ayant besoin de fonds avaient emprunté à des banquiers italiens et leur avaient engagé, pour la peine, des joyaux de la couronne. Un à un ces joyaux avaient passé à Rome, à Florence, où beaucoup, faute d’être rachetés, avaient même fini par être vendus. C’étaient les Ruccelaï qui étaient les principaux agents de cette affaire. En 1576 M. de la Rocheposay, ambassadeur de France à Rome, avait été chargé officiellement d’engager des diamans de la couronne entre les mains « d’aucuns princes et Estats de l’Italie. » L’histoire des joyaux engagés étant assez obscure, Marie de Médicis profita du trouble de la question pour emprunter elle-même en Italie en envoyant aussi des bijoux du roi. Le procédé était indélicat. On distinguait, à cette date, les bijoux particuliers de la reine, ceux qui lui appartenaient en propre et qu’elle pouvait donner ou vendre, de ceux de la couronne, au contraire intangibles. Il était dressé des inventaires de ces derniers et la chambre des comptes ne se faisait pas faute, lorsqu’on lui présentait, sur le budget de la reine, quelque grosse dépense relative à un achat de diamant, de demander si l’objet avait été inscrit à l’inventaire de la couronne, ce contre quoi, naturellement, Marie de Médicis protestait en disant qu’elle avait acheté l’article de ses deniers, pour elle, et non au profit de l’Etat. Afin de dissimuler sa démarche, elle poussa Henri IV et Sully à liquider toute l’affaire d’un coup en rachetant en Italie l’ensemble des bijoux engagés. Sully, dans ses Économies royales, se fait un mérite de ce rachat. Il ne s’opéra pas sans peine. Henri IV, aux premières tentatives de Marie de Médicis, avait déclaré ne pas se soucier de l’affaire. En relations épistolaires avec les Ruccellaï, la reine pressait ceux-ci de consentir à quelque