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s’il obtenait la fonction, un présent de 75 000 livres. En vain les ministres insistèrent-ils, afin que les usages, les règles, les traditions fussent observés : Marie de Médicis tint bon. Le public s’indigna : a La roine ne voulut jamais lascher ! » M. Le Jay eut sa lieutenance et la reine « ses épingles. »

Enfin et surtout, Marie de Médicis, pour avoir de l’argent, puisa délibérément dans le trésor de la Bastille jusqu’à le vider. Ah ! ce trésor qu’Henri IV et Sully avaient si soigneusement constitué dès 1602 et si jalousement conservé ! On v avait entassé les économies de l’État faites pendant huit années de règne ménager, avec la résolution, spécifiée par édit, de ne s’en servir qu’on cas de guerre. Derrière une première porte solide de la tour du Trésor, dont la clef était entre les mains du lieutenant de la forteresse, M. de Vanssay, et une seconde fermée par trois serrures desquelles une des clefs était chez le roi, la seconde chez le surintendant des finances, la troisième chez un conseiller général des finances, s’étaient accumulés près de 13 millions contenus en plus de 8 000 sacs, 4 coffres et 270 caques ! La préparation de la grande guerre qu’allait faire Henri IV au moment de sa mort avait fortement entamé la masse. il restait, à l’avènement de Louis XII, cinq millions qui avaient été reconnus et vérifiés le 27 janvier 1611 à la suite de la disgrâce et du départ de M. de Sully. Gens de finances, chambre des comptes aviaient fait renouveler les édits qui interdisaient formellement de toucher à cet argent, sinon en cas de nécessités occasionnées par la guerre, et encore sur lettres patentes dûment vérifiées ; et trois ans durant, Marie de Médicis avait pu se contenir. Mais les troubles politiques furent le premier prétexte qui permit de franchir le seuil défendu. Le 22 février1614, on prenait 2 500 000 livres ; l’année suivante, Marie de Médicis enhardie décidait de prélever encore 1 200 000 livres, — en raison, disait-elle du mariage du roi et des frais à payer à ce propos dont elle n’avait pas le premier écu. — Comme il ne s’agissait pas de guerre, la chambre des comptes refusa d’accepter l’édit : quatre lettres de jussion furent envoyées en vain à l’opiniâtre cour souveraine. Marie de Médicis passa outre. Ce fut une scène singulière dans sa solennité que celle qui eut lieu le 15 juillet 1615 à la Bastille, sur les cinq heures du soir, lorsque la reine, se faisant accompagner du roi, des princes, ducs et pairs, officiers de la couronne, ministres, intendants des finances, gardes et suisses, vint prendre son argent en grand apparat. M. de Vanssay, sur l’ordre