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de la polyphonie un joli rayon de lumière, où quelques détails justes et sobres se détachent avec netteté.

Sans compter que l’orchestre, ou la symphonie, a manqué les occasions les plus favorables, les thèmes ou les idées qui l’auraient le mieux inspirée.. Comment a-t-elle négligé le miroir, le peigne et le collier, leur éclat et leur beauté funeste ! Que ne les a-t-elle animés tous les trois et fait vivre du désir même dont ils furent l’objet, de l’audace dont ils furent la conquête ! Dans la symphonie et par elle il fallait que le collier de perles étincelât au cou de la déesse et que le sacrilège hésitât un instant, ébloui par leur splendeur nacrée. Rappelez-vous, dans un opéra qui n’est pourtant pas d’un maître symphoniste — la Salammbô de M. Reyer, — la brusque apparition du voile de Tanit ravi par le barbare et tout ruisselant de lumière. A l’orchestre encore il appartenait d’exprimer l’orgueil, l’ivresse impie de la courtisane se parant de la triple parure. Voilà des cas où dans le domaine de la symphonie, et dans celui-là seulement, la musique pouvait et devait se donner carrière.

Ailleurs nous ne lui demandions pas tant, et rien que par la justesse de l’accent, par le charme de la mélodie, elle nous eût contentés. Mais ces modestes plaisirs ne sont plus de ceux que notre musique nous donne. Grétry disait : « Il y a chanter pour parler et il y a chanter pour chanter. » Nos musiciens ont perdu le secret de l’un et de l’autre chant. Ils ont faussé tous les rapports : celui des notes avec les mots et celui des notes entre elles. Il a paru que le geôlier seul, dans la scène de la prison, prenait quelque souci de conformer son chant ou sa mélopée à son discours. Quant au trait, au contour mélodique, vous n’ignorez pas comme on dessine mal en musique aujourd’hui. Lisez, pour vous en mieux convaincre, le duo d’amour du quatrième acte d’Aphrodite. Inégale et fantasque, la ligne chantante ne s’élève et pointe que pour redescendre et retomber. Au lieu de s’infléchir et de se mouvoir avec souplesse, elle se disloque et se déhanche, elle se casse ou se hérisse. L’angle, et non pas la courbe, est la figure qu’elle préfère. Son graphique ressemble à celui de la fièvre, et sa démarche ordinaire n’est faite que de capricieux écarts et de soubresauts désordonnés.

« Alexandrie ! Alexandrie ! » Chaque fois que revenait ce nom dans Aphrodite, je me demandais où je l’avais déjà entendu chanter » Bientôt il m’en souvint : c’est dans l’histoire, lyrique aussi, d’une autre courtisane d’Egypte, au début du second acte de la Thaïs de M. Massenet. J’ai relu ce prélude d’orchestre et l’air d’Athanaël, qui le suit. L’auteur n’a peut-être jamais écrit de pages plus éblouissantes. J’ai retrouvé l’ample et majestueuse mélodie que les violons balancent, déroulent comme