M. Strauss peut lasser notre attention, accabler notre esprit, tromper notre sensibilité, et en effet, elle n’y manque guère ; il est rare qu’elle n’enchante pas notre oreille.
Virtuose de l’orchestre, l’auteur de la Symphonia domestica l’est encore, nous ne dirons pas de la symphonie, mais de la polyphonie, et par là nous voulons dire quelque chose de moins large et de moins indépendant, quelque chose de moins naturel et de moins spontané, quelque chose enfin qui sent l’effort et l’élaboration, l’école et l’artifice, plus souvent que l’inspiration, le génie et la liberté.
Nous signations tout à l’heure, en quelque sorte à l’extérieur de l’œuvre une disproportion considérable entre la symphonie et son sujet. Elle se retrouve, plus profonde, au sein de la musique même, entre le travail, ou le développement, et l’invention des thèmes, entre la mise en œuvre des élémens et leur valeur en quelque sorte spécifique. M. Richard Strauss est de ceux, — et peut-être le premier de ceux-là, — dont l’esprit combine à l’excès et crée à peine. La plupart de ses idées ne semblent pas assez dignes de l’honneur et du sort qu’il leur fait.
« Les idées... » Ici n’allons-nous pas nous heurter à la question préalable d’Henri Heine : « Madame, avant tout, avez-vous l’idée d’une idée ? » En des pages longtemps inédites et par nous citées naguère, peut-être pour la première fois, Gounod a donné « l’idée d’une idée, » d’une idée musicale et de musicien. Parlant des quatre premières notes de la symphonie en ut mineur, il écrivait : « C’est bien peu de chose ; mais avec quel empire soudain ces quatre notes s’emparent de l’auditeur ! Avec quelle puissance et quelle autorité elles le captivent, le dominent et l’étreignent jusqu’à la fin de l’incomparable morceau !
« Mais, me dira-t-on, comment appelez-vous cela ? Est-ce de la mélodie ? — Je n’en sais rien, je vous le demande. Ce que je sais, c’est que c’est une idée, c’est-à-dire une forme musicale précise, qui me saisit à l’instant, sans attendre, et, de plus, une forme féconde, qui contient en elle tout le morceau qu’elle annonce, morceau qui se déroule clair, puissant logique, un, sans que je sois obligé de me tramer à tâtons pour en percevoir la robuste et majestueuse identité...
« Le propre d’une mélodie, c’est d’être non pas une forme quelconque, plus ou moins vague, mais une silhouette déterminée, avec un caractère distinct, frappant instantanément, dès sa première apparition. Ce n’est point une énigme, un problème ; c’est une figure nette, c’est-à-dire un être. Une succession telle quelle de notes ne constitue pas une mélodie ; il faut que cette succession aboutisse à une réalité complète, vivante par elle-même et consistante par elle seule. »