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sujets et à je ne sais combien de parties, pour essayer de nous faire comprendre, et n’y réussir qu’à demi, tantôt qu’un enfant ressemble à ses parens et tantôt qu’on l’envoie se coucher à sept heures.

La famille ! Est-ce donc ainsi que jamais la poésie et la peinture nous l’ont faite ? En écoutant cette musique, ou plutôt quand on a fini de l’entendre, on songe aux chefs-d’œuvre d’un autre art — tout autres également — que le même sujet inspira. Il y a peu de jours, à cette place, n’évoquait-on pas la trinité familiale, et familière aussi, qu’a figurée au bas de la voûte Sixtine, une main, terrible ailleurs, mais ici détendue et attendrie ! Les voilà, les symphonies de lignes et de couleurs véritablement domestiques. La voilà, la famille idéale et vivante, sublime et prochaine, humaine et presque divine à la fois. Et celle-là, nos yeux, notre esprit et notre cœur n’ont besoin que d’un moment pour la voir, la comprendre et l’aimer.

C’est une chose insoutenable, une chose qui dépasse les bornes de l’attention comme de la patience, que trois quarts d’heure de musique sans action, ni paroles, ni spectacle, sans relâche et d’un seul morceau. Vainement, en ce terrible tout, on essaie de nous faire distinguer les quatre parties de la symphonie classique. Elles s’y trouvent peut-être, mais assurément elles s’y mêlent, elles empiètent et chevauchent les unes sur les autres. On doute si, comme dans la chanson, la première va devant, si la seconde suit la première, si les deux autres viennent les dernières. Elles vont et elles viennent toutes ensemble. L’impression générale n’est pas d’une ordonnance et d’une hiérarchie, mais d’un amalgame. Elle n’est pas davantage d’une évolution et d’un progrès. Un auditeur arrivant « pendant l’exécution du morceau », ne reconnaîtrait peut-être pas à quel moment il arrive, et si c’est au début, au milieu ou à la fin d’une symphonie dont on pourrait dire, comme on a fait de certaine mélodie, qui lui ressemble, qu’elle ne commence ni ne s’achève, mais qu’elle dure.

Il y a du moins une partie et comme un ordre de la musique où M. Richard Strauss règne en maître : c’est celui des sonorités et des timbres. Peu de nos contemporains possèdent cette maîtrise et l’exercent aussi plénière, tantôt avec une pareille puissance et tantôt avec une semblable délicatesse. Le musicien excelle à réunir les instrumens comme à les distinguer, à rassembler, à lier son orchestre en gerbe, en faisceau, puis à le dénouer, à l’éparpiller d’une main légère. Chaque instrument séparé sonne à merveille, selon la loi de sa propre nature, et ce n’est pas une moindre merveille d’ouïr tous les instrumens sonner ensemble, suivant les lois de leurs relations et de leur concert. La musique de