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d’irritation contre la politique de M. Delcassé, qui était encore ministre. Il pratique aujourd’hui la même abstention à l’égard de l’Italie.

Son télégramme au comte Goluchowski procède un peu de la même intention. Sans doute l’empereur a voulu donner une marque de sa bienveillance et de sa reconnaissance au ministre austro-hongrois des Affaires étrangères ; mais il a voulu aussi, par une omission qui faisait contraste, marquer au gouvernement italien des sentimens différens. Il : y a d’ailleurs réussi et personne ne s’est trompé sur sa pensée. Après avoir remercié M. le comte Goluchowski de l’‘« inébranlable appui » qu’il avait prêté à ses représentans à Algésiras : « Vous avez accompli, lui dit l’empereur, une belle action en fidèle allié. Vous avez été un brillant second sur le terrain, et vous pouvez, en pareil cas, compter sur un pareil service de ma part. » Nous devons à la vérité d’avouer que cette dernière phrase n’a pas causé en Autriche une satisfaction sans mélange. Quelques journaux, un peu ombrageux sans doute, n’ont pas été très flattés de voir attribuer à leur gouvernement le rôle de second dans une affaire où il a dû se préoccuper surtout des intérêts autrichiens : mais ce sont là des nuances sur lesquelles il n’y a pas lieu d’insister. Tout le monde a compris que, dans l’opinion de l’empereur Guillaume, ce que l’Autriche avait fait, l’Italie ne l’avait pas fait. Elle n’avait pas agi en « fidèle alliée, » en « brillant second ; » et, en pareil cas, si Guillaume II ne disait pas ce qu’il ferait envers elle, il le laissait du moins deviner. L’empereur ayant manifesté ainsi son sentiment, on peut juger de la manière dont les journaux ont exprimé le leur. On connaît leurs allures habituelles. Ils sont bien loin d’appliquer le précepte de Voltaire : « Glissez, mortels ; n’appuyez pas ! » Ils appuient, au contraire, et beaucoup : ils ont trop de force naturelle pour observer les nuances. Ils ont dit à l’Italie qu’on ne pouvait pas servir deux « maîtres » à la fois. Ils ont déclaré que l’Allemagne entendait « dicter la loi à l’Europe, ou du moins à l’Europe centrale. » Peut-être devons-nous leur savoir gré de la réserve qu’il y a dans cette fin de phrase ; peut-être aussi ne s’applique-t-elle qu’à l’Angleterre. Nous ne ferons pas d’autres citations. Il suffit de montrer le ton de la presse allemande. On pourrait ajouter à la fin de chacun de ses articles : soit dit pour vous offenser.

Nous ne prendrons pas la défense de la politique italienne : c’est un soin dont les Italiens eux-mêmes s’acquittent comme ils l’entendent et s’acquittent fort bien. Ils n’éprouvent d’ailleurs, est-il besoin de le dire ? aucun besoin de s’excuser. Une question a été posée à Rome à M. le ministre des Affaires étrangères par M. di Martine, sénateur. La réponse de M. le comte Guicciardini a été pleine de franchise et de dignité : si