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elle n’a pas désarmé complètement les susceptibilités allemandes, elle a produit dans tout le reste de l’Europe une excellente impression. La base de la politique italienne reste la triple alliance, et l’Italie compte avec la loyauté de l’Autriche avec laquelle elle a des arrangemens de l’autre côté de l’Adriatique, en Albanie. Fidèle à ses alliances, elle l’est aussi à ses amitiés, et ne voit dans les premières rien qui soit incompatible avec les secondes. Elle estime travailler utilement par là au maintien de la paix. L’Italie a raison, et quant à l’Allemagne, peut-être exagère-t-elle les devoirs de ses alliés. L’Italie a, dans la Méditerranée, des intérêts spéciaux que n’avait pas l’Autriche, et c’est ce qui explique la différence d’attitude des deux gouvernemens, beaucoup moins grande d’ailleurs, qu’on ne l’a dît. Le résultat de la conférence d’Algésiras a été à quelques égards imprévu, mais personne ne peut en prendre ombrage. Il a montré que les puissances méditerranéennes, ayant des intérêts communs, avaient aussi une tendance naturelle, et incontestablement légitime, à les défendre en commun. Qui pourrait s’en étonner ? Qui pourrait s’en offenser ? L’Allemagne ne pourrait le faire que si ses intérêts, ou même ses vues propres, sur le Maroc n’avaient pas été soigneusement ménagés et respectés ; mais ils l’ont été, le sont et le seront. Le discours de M. de Bülow a montré que quelques nuages se sont dissipés à Algésiras, et nous en sommes d’autant plus heureux qu’ils s’étaient en partie formés sur notre tête ; mais le télégramme de l’empereur et les polémiques de la presse allemande montrent qu’il s’en est formé d’autres. Ils se dissiperont aussi sans doute, et le plus tôt sera le mieux. Il serait fâcheux que l’Europe ne sortît d’une inquiétude que pour tomber dans une autre. Pourquoi sommes-nous allés tous à la conférence, sinon pour y chercher la conciliation que nous y avons trouvée, et l’apaisement qui devait en être la suite ? Il ne s’est pas encore produit aussi complet que nous le désirions. On parle d’une crise que subirait la triple alliance. Si la triple alliance subissait une crise, ce ne serait pas notre affaire ; mais nous en cherchons en vain les symptômes vicieux. Un mécontentement passager, quelque vif qu’il puisse être, ne change par les intérêts permanens et durables. La triple alliance serait beaucoup plus fragile que nous ne l’aurions cru, si elle était venue se briser contre le récif d’Algésiras.


FRANCIS CHARMES.