Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sources de son érudition, l’origine de ses idées, et, généralement, tout ce qui ne commence à devenir intéressant pour nous qu’autant que nous nous croyons assurés de la durée de son œuvre et de son nom. On commence alors d’en parler comme d’un classique. C’est précisément ce que M. Latreille a voulu faire dans ce livre ; et après lui, d’après lui, c’est ce que nous voudrions essayer de faire dans ces quelques pages sur Le Pape. Quelque actualité que les circonstances donnent à un pareil sujet, nous n’avons garde de la négliger, et, au contraire, nous venons de le dire, si ce n’était l’actualité, nous aurions peut-être attendu à parler de ce livre, mais nous croyons aussi qu’elle n’en fait pas le seul mérite, et ce n’en est donc ni le seul ni le principal que nous nous proposons de mettre en lumière.


I

Je préfère, et je crois que l’on peut préférer, pour d’excellentes raisons, les Soirées de Saint-Pétersbourg, et, par exemple, comme étant, de l’aveu même de leur auteur, une image plus fidèle, une expression plus complète, et surtout plus vraie du génie de Joseph de Maistre, mais le livre Du Pape n’en est demeuré pas moins dans son œuvre le livre capital, son Discours sur l’Histoire Universelle, sa philosophie de l’histoire et de la religion, son apologie du christianisme, et la clef de voûte, enfin, de son système, s’il en a un.

Il nous a déclaré lui-même, dans son Discours Préliminaire, l’origine et l’intention du livre : « Puisque notre ordre s’est rendu, pendant le dernier siècle, éminemment coupable envers la religion, je ne vois pas pourquoi le même ordre ne fournirait pas aux écrivains ecclésiastiques quelques alliés fidèles qui se rangeraient autour de l’autel pour écarter du moins les téméraires, sans gêner les lévites. » Je pense que « notre ordre, » c’est ici la noblesse, et si nous en faisons la remarque, c’est que, dans cette intention de « réparer » ou d’ « expier, » il est permis de voir, de la part de J. de Maistre, une intention seconde, qui est d’allier sa cause à celle du vicomte de Bonald et du vicomte de Chateaubriand. Une « tradition de famille » veut encore qu’en écrivant son livre Du Pape, J. de Maistre, en même temps que les fautes ou les erreurs de son ordre, se soit proposé d’y expier les propos un peu vifs, auxquels, jadis, dans ses lettres particulières, il s’était abandonné sur Pie VII, et notamment en 1804, à l’occasion du couronnement de Bonaparte. M. Latreille ne veut pas de cette « tradition de famille. » Pourquoi