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cela ? C’est ce que je n’ai pas bien compris. A l’origine d’un grand livre, il peut toujours y avoir de « petites » raisons, qui concourent avec de plus grandes et, en tout cas, des raisons « d’ordre privé. » Pourquoi Joseph de Maistre, éprouvant le remords d’avoir tenu sur Pie VII des propos irrespectueux, ne les aurait-il pas regrettés ? et, sans se croire obligé d’en faire publiquement l’aveu, pourquoi ces regrets eux-mêmes n’auraient-ils pas contribué à l’encourager, sinon à l’engager dans le dessein d’écrire son livre ?

Une autre question est plus importante, et on eût aimé que M. Latreille essayât de l’éclaircir. Dans une lettre de Joseph de Maistre, datée du 28 septembre 1818 et adressée à M. de Place, on lit ces lignes : « Ce IVe livre (Du Pape) est particulièrement dirigé contre le livre de M. de Stourdza, qui fait beaucoup de bruit en Russie... Rome tient beaucoup à la réfutation de cet ouvrage... » Quelle est la vraie portée de cette dernière phrase ? Voici le commentaire qu’en donnait, il y a quelques années, dans une préface qu’il mettait au livre de Joseph de Maistre, un de ses éditeurs, le père van Aken, de la société de Jésus : « Au lendemain du Congrès de Vienne, 1815, deux écrivains s’occupaient à Saint-Pétersbourg de la question romaine, M. de Stourdza, chambellan de l’Empereur de Russie, et le Cte Joseph de Maistre, ministre de Sardaigne auprès du tsar... M. de Stourdza se proposait de prouver « que c’est nous catholiques — et, ici, le père van Aken reproduit les termes d’une lettre de J. de Maistre au cardinal Severoli, datée du 11 janvier 1817, — c’est nous qui sommes schismatiques, l’Église Romaine s’étant séparée sans raison de l’Eglise Grecque... Peu de gens connaîtraient aujourd’hui l’existence de ce plaidoyer sans la réplique immortelle de Joseph de Maistre. Rome ayant manifesté le désir de voir réfuter le chambellan russe, le comte s’empressa d’achever son traité Du Pape, qu’il méditait depuis longtemps. Il ne pouvait compter sur la faveur de personne ; mais il avait pour lui la bénédiction du Saint-Père, son génie et la vérité. » Le père van Aken se borne-t-il à répéter ici, pour le fond, et en le modifiant à sa façon dans les termes, ce que Joseph de Maistre écrivait à M. de Place ? Ou veut-il insinuer que, de Rome, on aurait prié, sollicité ou chargé Joseph de Maistre d’écrire le livre Du Pape ! Quelles preuves a-t-il de ce désir de Rome ? Et, quant aux raisons que Rome aurait eues de « tenir beaucoup à la réfutation de l’ouvrage » de M. de Stourdza, quelles étaient-elles ? et de quelle nature ? politiques et uniquement russes, c’est-à-dire relatives à la situation du catholicisme dans l’Empire du tsar ? ou théologiques, religieuses et européennes ? Autant de questions qu’il serait sans doute intéressant d’examiner, et qui laissent quelque chose encore à faire, après