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M. Latreille, aux éditeurs, commentateurs ou critiques Du Pape. L’auteur laïque Du Pape, en écrivant son œuvre, n’a-t-il pris conseil que de lui-même, ou n’a-t-il été, au contraire, pour un livre au moins de son œuvre, le quatrième, que le secrétaire du Vatican ?

Avant de donner son manuscrit à l’impression, Joseph de Maistre avait cru devoir le soumettre à Chateaubriand, qui ne l’avait pas lu, selon toute apparence, mais qui ne lui avait pas moins répondu, par une lettre tout à fait courtoise, et dans laquelle même il se mettait à sa disposition pour traiter avec le libraire Le Normand. Joseph de Maistre avait décliné la proposition, — c’était au mois d’octobre 1817, — et rentré en possession de son manuscrit, il avait voulu consulter, à défaut de Chateaubriand, quelques-uns de ses amis de Savoie. où cite parmi eux l’abbé de Thiollaz, et l’abbé Rey, plus tard évêque d’Annecy. Mais ce n’était pas seulement d’un approbateur ou d’un conseil qu’il avait besoin ; c’était d’un vrai collaborateur, ou, si on le veut, d’un correcteur, d’un critique, d’un ami de sa gloire, qui suivît feuille à feuille l’impression du livre, qui lui en signalât toutes les imperfections, qui prît la peine de faire pour lui toute sorte de « vérifications » au détail desquelles il n’aimait pas descendre ; et cet homme rare, naturellement, il eut quelque peine à le trouver. L’abbé Besson, ancien vicaire général de Genève, et l’abbé Vuarin, le correspondant de Lamennais, hésitèrent, puis reculèrent devant l’énormité de la tâche. Mais enfin ce collaborateur se rencontra, dans les derniers mois de 1818, par l’intermédiaire de l’abbé Besson, en la personne d’un homme de lettres lyonnais, Guy Marie de Place, que l’on ne connaît guère, quoique Sainte-Beuve ait fait jadis pour le tirer de l’ombre, sur lequel on trouvera d’utiles renseignemens dans le livre de M. Latreille, et dont il semble bien que le nom doive être inséparable désormais de celui de Joseph de Maistre.

Tous ces retards, et on pourrait dire tous ces tâtonnemens s’accordent assez mal avec l’idée que l’on se forme ordinairement de l’auteur Du Pape, de sa personne ou de son caractère, et disons-le tout de suite, c’est que l’idée que l’on s’en forme est fausse. Elle est presque aussi fausse que celle que l’on se forme de l’écrivain, ou qu’on s’en est formée d’abord, quand on n’admirait de lui, dans nos histoires de la littérature, que des qualités de force et d’éclat, d’éloquence véhémente et apocalyptique, dont il y a bien trace dans son œuvre, mais qui ne sont pas cependant de sa manière habituelle, que caractérisent au contraire l’esprit, l’ingéniosité, l’imprévu du tour et de l’expression, l’aisance mondaine dans le paradoxe et l’impertinence. Quoi qu’il en soit, on s’étonne donc qu’avant de faire