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Par exemple, quelque opinion que l’on ait sur la question purement métaphysique des rapports ou des analogies de la « Souveraineté » et de « l’Infaillibilité, » ce que l’on ne peut refuser à Joseph de Maistre, c’est d’avoir établi, avec plus d’autorité que personne, et peut-être que Bossuet lui-même, dans le système catholique, la nécessité de « l’infaillibilité de fait. » Je ne l’entends pas ici de la nécessité pratique d’une autorité qui termine les contestations. Ἀναγϰη στήναι : il faut qu’on en finisse ! et cet argument a sans doute sa valeur, puisque je vois qu’il est celui qu’oppose aux protestans d’Amérique, dans son livre intitulé : La Foi de nos Pères, le cardinal Gibbons. Il y compare l’infaillibilité pontificale à l’autorité de cette Cour suprême des États Unis qui est, dans le système américain, le modérateur suprême de l’institution démocratique, et, en propres termes, la source vive, magisterium vivum, de la vérité constitutionnelle. Mais cette « infaillibilité de fait » résulte nécessairement, je dirais volontiers, automatiquement, de la nature de la tradition telle qu’on la conçoit dans le catholicisme, et telle qu’on ne la pourrait autrement concevoir sans qu’il cessât d’être le catholicisme. {{lang|en|No popery ! je ne sais ni n’ai à rechercher ici quelle est la signification de ce cri légendaire, quand il est poussé par des foules protestantes, ce qu’il résume en lui d’imprécations confuses, d’oppositions de races, de rancunes héréditaires, de préjugés historiques soigneusement entretenus, mais on ne se méprend pas en voyant dans le Pape « tout le catholicisme ; » et, si je puis ainsi dire, « toute la Papauté » dans son privilège d’infaillibilité. C’est ce que Joseph de Maistre a démontré. « Point de Pape sans la suprématie qui lui appartient. » Et si l’on demande à ce sujet : « Pourquoi le Pape et non l’Eglise ? » personne encore mieux que lui n’a montré comment, dans le système catholique, l’Église ne saurait exister sans le Pape : « Si quelqu’un s’avisait de proposer un royaume de France sans roi de France, un Empire de Russie sans empereur de Russie, on croirait justement qu’il a perdu l’esprit, » et la suite.

C’est ici que s’élève l’objection banale et vulgaire, celle qui vient tout naturellement et d’abord à l’esprit, l’objection à laquelle on a vingt fois répondu, et à laquelle pourtant il y aura toujours lieu de répondre encore. « Lisez les livres des protestans, — nous dirions aujourd’hui des « libres penseurs » ou des « philosophes, » — et vous y verrez l’infaillibilité représentée comme un despotisme épouvantable, qui enchaîne l’esprit humain, qui l’accable, qui le prive de ses facultés, qui lui ordonne de croire et qui lui défend de penser. » C’est ainsi que Joseph de Maistre résume l’objection, et il répond : « Cette épouvantable juridiction du Pape sur les esprits ne sort pas des limites du Symbole des Apôtres ; le