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laissée, dans les questions incertaines, de « chercher » et de « trouver » ; » c’est alors précisément que l’activité de l’esprit s’éveille, et qu’en toute sécurité, nous essayons d’ajouter quelque chose à ce que nous ont légué nos pères, et de transmettre à ceux qui viendront après nous, une religion, non pas plus vraie, ni plus sainte, ni plus pure, mais d’une vérité cependant plus large, en tant qu’adaptée à des exigences nouvelles.

C’est d’ailleurs une chose curieuse, et même notable que, personne, plus que Joseph de Maistre, ce prétendu « prophète du passé, »[1] n’ait eu le sentiment de la réalité de la « succession » ou de l’ « évolution » dans l’histoire de l’Église ; et si je voulais le montrer par des textes, je reproduirais ici des pages entières du livre Du Pape. « Rien dans toute l’histoire ecclésiastique n’est aussi invinciblement démontré, pour la conscience surtout qui ne dispute jamais, — je n’entends pas ici ce qu’il veut dire, — que la suprématie monarchique du Souverain Pontife. Elle n’a point été, sans doute, dans son origine, ce qu’elle fut quelques siècles après ; mais c’est précisément en cela qu’elle se montre divine ; car tout ce qui existe légitimement et pour des siècles, existe d’abord en germe, et se développe successivement. » Je lis encore ailleurs : « … Jamais aucune institution importante n’a résulté d’une loi, et plus elle est grande, moins elle écrit. Elle se forme elle-même par la coopération de mille agens, qui presque toujours ignorent ce qu’ils font, en sorte que souvent ils ont l’air de ne pas s’apercevoir du droit qu’ils établissent eux-mêmes. L’institution végète insensiblement à travers les siècles : Crescit occulto velut arbor œvo, c’est la devise éternelle de toute grande création politique ou religieuse. Saint Pierre avait-il une connaissance distincte de l’étendue de sa prérogative et des questions qu’elle ferait naître dans l’avenir ? » Et veut-on un dernier texte ? « Lorsque l’on considère les épreuves qu’a subies l’Église Romaine par les attaques des hérésies et par le mélange des barbares qui s’est opéré dans son sein, on demeure frappé d’admiration en voyant qu’au milieu de ces épouvantables révolutions tous ses titres sont intacts et remontent aux apôtres. Si elle a changé certaines choses dans les formes extérieures, c’est une preuve qu’elle vît ; et tout ce qui vit dans l’univers change suivant les circonstances, en tout ce qui ne tient point aux essences. Dieu, qui se les est réservées, a livré les formes au temps pour en disposer suivant de certaines règles. Cette variation dont je parle est même le signe indispensable de la vie, l’immobilité absolue n’appartenant qu’à la mort. » Il dit

  1. C’est ce grand fantoche de Barbey d’Aurevilly qui a réussi à se faire attribuer la paternité de cette expression, mais elle est en réalité de Ballanche.