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de passer à côté de la question. Et c’est là qu’on se rend compte, plus on y réfléchit, de combien la portée du livre de Joseph de Maistre a passé l’intention même de son illustre auteur.

Sous des noms différens et avec des nuances considérables qu’il appartient à l’historien de noter, gallicanisme, jansénisme, constitution civile du clergé, joséphisme, ce ne sont en effet dans l’histoire qu’autant d’essais de « nationalisation » ou de « localisation » d’une religion qui, dès son origine, s’est essentiellement définie par son caractère d’universalité ; et c’est justement ce que Joseph de Maistre a si bien vu ! Le livre Du Pape est donc lui-même essentiellement une apologie du catholicisme en tant que religion universelle, et une démonstration par l’histoire de l’« altération » ou de la « dénaturation » à laquelle une telle religion s’expose dès qu’elle tend à se localiser. Si le catholicisme n’est plus universel, il cesse d’être le catholicisme ; il devient l’anglicanisme ou l’ « orthodoxie russe, » et en quelque manière la chose du prince, du Saint Synode ou du Conseil privé ; il est une religion d’État. Mais en admettant qu’une religion d’État soit encore une religion, elle n’est plus la religion, et en cela même ont consisté pour Joseph de Maistre l’erreur et le danger du gallicanisme.

Tout l’effort du gallicanisme, — plus ou moins conscient de lui-même, selon les hommes et selon les temps, — s’est porté, je crois qu’on pourrait dire, depuis Philippe le Bel jusqu’à la constitution civile du clergé, vers l’organisation d’un « catholicisme français. » ce qui est une contradiction dans les termes, et, par conséquent, la négation du catholicisme. Il ne saurait pas plus y avoir de « catholicisme français, » que de « catholicisme allemand » ou de « catholicisme italien. » Non seulement pour le catholique, la religion n’est ni ne peut être « affaire individuelle, » mais elle n’est ni ne peut être, comme on dirait de nos jours, « affaire nationale. » Ite, et euntes docete omnes gentes. « Toutes les nations ! » Mais, comme la tendance des nations est à se concentrer sur elles-mêmes, et que cette concentration leur apparaît comme la condition, le moyen et la garantie de leur indépendance et de leur unité, le catholicisme ne peut lui-même subsister qu’à la condition d’avoir, en dehors, et par conconséquent, en un certain sens, au-dessus d’elles toutes et de chacune, son centre propre ; — et ce centre, c’est la papauté. Tandis que tout change autour de nous, la Papauté est l’organe visible institué de Dieu, pour maintenir l’universalité du christianisme, et le défendre aussi bien contre les attaques de l’hérésie, que contre les « mutations » ou les bouleversemens de la politique, et que contre l’injure du temps.

Si l’on se place à ce point de vue pour lire, et surtout pour juger le