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X

Dans la salle où de telles paroles avaient été prononcées, j’avais été suspendu peu d’années auparavant pour avoir dit : « Le ministère public a fait appel aux passions, ce qui est mauvais. » Et dans un procès purement civil, celui de la marquise de Guerry, on avait interdit la reproduction des débats pour étouffer ma plaidoirie, tandis qu’on laissait toute liberté aux paroles incendiaires de Gambetta de se répandre au loin. Le temps avait marché ; les magistrats eux-mêmes commençaient à lâcher. Le substitut, Aulois, homme de courage et de talent, laissa sans réponse ces déclamations outrageantes. Il lui eût suffi de dire : « Le 11 juillet et le 10 août 1792, le 18 fructidor 1794, le 31 juillet 1830, le 24 février 1848 que vous glorifiez furent des actes illégaux autant que brumaire et décembre que vous réprouvez. Mais tandis que les coups d’État révolutionnaires n’ont pas été légitimés, ceux des Napoléon le furent par des sanctions populaires. ils ne crurent pas qu’un droit pût naître d’un coup de force même nécessaire, ils ne voulaient tenir le leur que d’un verdict national. Les gouvernemens nés le 11 juillet, le 10 août, etc., étaient condamnés à célébrer le jour d’illégalité, ce jour n’ayant pas eu un lendemain de ratification : eux, pourquoi auraient-ils pris comme anniversaire le 2 décembre, puisqu’ils datent du 10, jour du plébiscite ? ‘S’ils n’ont pas fixé même au 10 décembre leur fête nationale, c’est que, plus généreux que leurs ennemis, ils n’ont pas voulu rappeler un fait de guerre civile : ils choisirent le 15 août auquel ne se rattachait aucun souvenir amer. »

Le tribunal, qui avait écouté complaisamment les inculpés, n’alla cependant pas jusqu’à les acquitter. Il condamna Delescluze à six mois d’emprisonnement et 200 francs d’amende, le déclara interdit de l’exercice des droits civiques, de vote d’électeur et d’éligibilité ; Quentin, Challemel-Lacour, Duret et Peyrat, chacun à 2 000 francs d’amende (13 novembre 1868). Le seul appelant, Delescluze, vit encore sa peine d’amende réduite à 50 francs. La plaidoirie de Gambetta, reproduite par tous les journaux et répandue en brochures, obtint autant de succès que la Lanterne. L’avocat