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inconnu de la veille était devenu lui aussi l’idolâtrie de la foule. Les négocians de la rue du Sentier, qui ne lui eussent pas confié la défense du moindre de leurs intérêts commerciaux, le déclarèrent apte à gérer les intérêts de la France. Les Irréconciliables radicaux, qui avaient déjà leur pamphlétaire en Rochefort, leur philosophe doctrinaire eu Jules Simon, eurent en lui leur tribun.


XI

L’affaire Baudin n’était pas terminée. Le Temps, qu’on ne pouvait, de près ou de loin, rattacher aux manifestations du cimetière Montmartre, et qui avait d’abord refusé de s’associer à la souscription, en ouvrit une dans ses colonnes dès qu’il vit le droit de souscription contesté. Le Journal de Paris de Weiss et d’autres journaux de province l’imitèrent. Les plus modérés répétèrent avec les Débats : « Nous avons regretté l’ouverture de la souscription Baudin, mais nous regrettons les poursuites qui lui ont donné plus d’importance et de durée. » (18 novembre.)

Le gouvernement différa à procéder contre eux jusqu’après le jugement du tribunal de la Seine. Aussitôt la condamnation, il fit expédier aux procureurs généraux le télégramme suivant : « La sixième chambre a prononcé hier son jugement de condamnation contre les auteurs de la souscription Baudin. A partir de demain lundi, faites saisir et poursuivre tout journal qui publierait une nouvelle liste de cette souscription. » (16 novembre.) Quelques journaux persistant néanmoins, on répondit à ce défi en ordonnant de nouvelles poursuites. Le Temps et le Journal de Paris furent condamnés avec douceur (16 décembre). A Clermont, à Albi, la magistrature regimba ; des acquittemens furent prononcés.

Pinard, le véritable instigateur de cette campagne à laquelle Rouher paraît avoir été contraire, la compléta par un dernier épilogue. Le matin du 3 décembre, on avait distribué à foison, parmi les classes ouvrières, l’appel suivant, intéressant à reproduire parce qu’il indique l’état d’effervescence dans lequel vivait le monde révolutionnaire : — « Le 3 décembre 51, Baudin est mort ! la République est morte ! vive l’Empereur ! — Le 3 novembre 68, un autre cri répond d’un cimetière ; Vive Baudin ! vive la République !