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peut être certaine que je ne dirai rien qui excède les limites de la délicatesse et de la réserve la plus scrupuleuse. Mais il est une pièce dont la publication serait indispensable à ma justification devant l’opinion et pour prouver que je n’ai pas joué en tout ceci le rôle d’un ambitieux vulgaire en quête d’un ministère, ainsi que les journalistes officieux l’impriment depuis un an : c’est la lettre que Votre Majesté m’a fait l’honneur de m’écrire le 12 janvier 1867. Je ne veux pas m’en servir sans en avoir obtenu l’autorisation formelle de Votre Majesté. J’hésite d’autant moins à la lui demander que si mon honneur y est intéressé, je suis convaincu que vous-même, Sire, vous n’avez qu’à gagner dans l’opinion publique de la France et de l’Europe, à la publication de ce beau document. J’en joins une copie à cette lettre. Il va de soi que je ne ferai nulle mention de l’autorisation qui me serait accordée et que je ne la sollicite que pour me mettre en règle avec moi-même. — Votre Majesté m’obligerait de me faire connaître sa décision à Saint-Tropez et d’agréer l’assurance de mes sentimens respectueux. » (23 septembre.) La réponse me vint de Biarritz meilleure encore que je ne l’attendais : ce Monsieur, en réponse à la lettre que vous m’avez écrite, je m’empresse de vous autoriser à publier celle que je vous ai adressée le 12 janvier 1867, car je ne me repens ni des sentimens ni des idées que je vous ai manifestés à cette époque. — Croyez à ma haute considération et à ma sympathie. — Napoléon. » (29 septembre 1868.)

Muni de cette autorisation significative, je m’avançais librement dans mon œuvre quand m’arrivèrent de Paris les rumeurs lointaines de l’affaire Baudin. J’étais décidé à ne pas m’en mêler. Je ne croyais pas qu’on viendrait troubler mon repos pour me faire sortir de cette abstention. Je me trompais. Dès que la souscription à la statue fut ouverte, je reçus de mon Comité, dont la plupart des membres étaient devenus mes amis personnels, une invitation, et des comités radicaux, qui désarmaient mal volontiers devant moi, une sommation de souscrire, à la suite de tous les membres de la Gauche, sans quoi l’amnistie qu’on m’avait accordée me serait retirée. Ne pas protester contre le coup d’État serait considéré comme une adhésion à cet acte odieux ; modérés et violents s’entendraient ; je serais rejeté et certainement battu. Au contraire, au lendemain de ma souscription aucune voix ne s’élèverait plus contre mon élection et je redeviendrais l’homme populaire et acclamé de 1863.