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En ne considérant que mon intérêt personnel il n’y avait pas à délibérer : il fallait souscrire. Mais ne penser qu’à soi est une erreur que je n’ai jamais commise, et je dus considérer les conséquences que produirait l’acte auquel on voulait m’obliger. Quoique dépourvu de l’infatuation dont on m’a gratifié, j’étais bien obligé de me rendre compte que, dans les circonstances présentes, l’Empire libéral n’était possible que par moi. L’Empereur hésitait à le faire avec moi, mais il était résolu à ne le faire avec aucun autre ; il ne pouvait s’agir ni de Jules Favre, ni de Thiers, auxquels il ne se serait jamais confié, et dans le tiers parti, le seul homme indiqué à mon défaut. Buffet, lui inspirait des méfiances à cause des souvenirs de 1849. Il était d’ailleurs persuadé qu’un mouvement en avant ne gagnerait la confiance des masses populaires, vers lesquelles son regard était toujours tourné, que s’il était opéré par un homme d’opinion démocratique, ne pouvant être soupçonné d’être un jeune revenant des vieux réactionnaires de la rue de Poitiers. Quelque vive qu’eût été mon opposition dans la session précédente, elle était demeurée strictement constitutionnelle et signifiait seulement : Marchez en avant ! Ma souscription lui eût donné un caractère nouveau ; elle eût dit : révolution. Dès lors l’Empire libéral était mort, l’Empereur acculé, rejeté vers la réaction, le parti constitutionnel, le tiers parti anéantis, ou obligés de devenir une fraction du parti de la révolution. Était-il honnête, était-il prévoyant, était-il patriotique de contribuer pour sa part à créer une telle situation ? Je ne le crus pas.


XIII

Il ne faut pas maudire toutes les révolutions : il est des temps où la loi est devenue une violation si intolérable du droit qu’on n’est plus tenu de la respecter ; dans d’autres, l’indignité de celui qui commande dégage de toute obligation ceux qui devraient obéir : Si rex degeneret in tyrannum deponi et eligi alium[1] : Parfois une nation périrait si elle ne brisait son gouvernement, et alors une révolution a été la tempête purifiante qui dissipe les

  1. Bellarmin.