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miasmes et rend la clarté au ciel obscurci. Mais une révolution, même légitime, entraîne une telle corruption des mœurs publiques et du sens moral que, si elle n’est pas indispensable, elle est coupable : nul n’a le droit d’y recourir tant que la résistance légale n’a pas été reconnue impuissante. Or, en 1869, le peuple français n’était pas réduit à cette extrémité. Pourquoi aurait-il désiré une révolution ?

Au point de vue matériel ses intérêts étaient intelligemment sauvegardés ; les libertés véritables, les libertés civiles se développaient chaque jour ; la liberté politique principale, celle de la presse ne subissait plus que des entraves illusoires ; le droit de réunion fonctionnait pour la première fois. L’abolition du pouvoir personnel, il est vrai, la transformation définitive de l’Empire autoritaire en Empire libéral, par le rétablissement de la responsabilité ministérielle, n’était point encore conquise, et c’était le vœu principal de l’opinion, mais si l’Empereur ne se décidait pas à ce dernier pas, ce n’était qu’un retard à une capitulation inévitable. Il ne pouvait maintenir son pouvoir personnel qu’en révoquant les décrets de 1860 et 1867, et il était résolu à ne pas le faire. Il avait dit à Walewski : « Je ne me repens ni du 24 novembre, ni du 19 janvier. On a beau me présenter la situation sous les couleurs les plus sombres : peut-on me dire ce qui serait arrivé si je n’avais pas agi de la sorte ? j’ai toujours été décidé à ne pas retirer les lois. » Et il disait vrai.

Quand on a obtenu les trois quarts de ce qu’on désire, renoncer aux moyens légaux qui vous ont réussi jusque-là serait, en vérité, le comble de la déraison. Eût-il fallu attendre longtemps le dernier quart, c’eût été beaucoup moins dommageable que de faire une révolution. « Il ne faut pas, a dit un des plus judicieux représentans de notre admirable Tiers-État, Etienne Pasquier, quoique voulant apporter quelque règlement pour réformer la malfaçon des choses passées, terrasser l’autorité, de peur qu’après avoir été affligé par les fautes, le royaume ne reçût plus grande affliction par les remèdes[1]. » Ainsi en serait-il advenu chez nous à la suite du renversement de l’Empire. Ni les légitimistes ni les orléanistes, séparés par des divisions irréconciliables, n’en pouvaient être les héritiers : c’est la République qui appréhenderait

  1. Pasquier, Lettres, XII, 4, XIII, 3.