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De 1830 à 1848, la France eut une philosophie officielle, l’éclectisme, et une manière de concile ou de consistoire laïque, la section de philosophie du conseil de l’Université. C’était, à côté de l’Église historique qu’elle importunait de sa déférence et dont elle épiait sournoisement la succession, comme une petite Église d’avant-garde, avec un chef très réel et une ombre de symbole, soucieuse avant tout d’être, c’est-à-dire de disposer de la direction des esprits, encore qu’elle ne sût au juste dans quelle voie les engager. À cette puissance outrageusement officielle et forte surtout, semblait-il, par sa situation dans l’État, Pierre Leroux fit une guerre à mort. Dans l’éclectisme, il vit une réputation à abattre beaucoup plus qu’une doctrine à dénoncer ; et cela n’est pas étonnant si l’éclectisme ne fut, en un sens, qu’une manière d’être, de gouverner et de discourir, personnelle à Victor Cousin. Caractériser l’œuvre de ce dernier, montrer comment d’une philosophie inorganique, d’un simple « syncrétisme » il sut tirer une apparence de système et quelque chose comme une doctrine d’État : telle fut la tâche que se donna tout d’abord Pierre Leroux. Nous en résumerons les résultats dans la première partie de cette étude. Dans la seconde partie, nous examinerons comment, sous l’influence des idées saint-simoniennes et des premiers écrits de Lamennais, il en vint à concevoir la nécessité d’une synthèse de toute la connaissance humaine et la haute opportunité d’une religion. Puis, dans une troisième partie, nous exposerons l’essai d’une construction religieuse sur la base de la « solidarité, » qui constitue l’œuvre propre ou originale de Pierre Leroux. Enfin, dans une quatrième et dernière partie, et à titre de conclusion, nous donnerons quelques aperçus nés de la lecture, éminemment suggestive, des ouvrages de notre auteur.


I


« Les éclectiques, ceux qui, à diverses époques, ont véritablement mérité ce nom, étaient des philosophes dénués de ce qui constitue toute vraie philosophie, savoir, un certain nombre de dogmes liés, enchaînés, et formant une théorie religieuse, morale et politique, plus ou moins complète, c’est-à-dire, en d’autres