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Et d’abord, il établit nettement sa thèse : « Il en est de la société, dit-il, comme de tous les êtres, et aussi comme de toutes les œuvres du génie de l’homme. La vie ne se manifeste que dans l’unité ; elle disparaît quand l’unité cesse. Dans la vie, dit Hippocrate, tout concourt et tout consent. C’est une des plus profondes définitions qu’on ait encore données de la vie ; et elle s’applique aussi bien à la vie collective ou sociale qu’à la vie organique de l’individu. » La vie de l’esprit ne saurait, non plus, échapper à cette loi : « Le besoin d’un système complet, comprenant à la fois Dieu, l’homme, la nature, est, je ne dis pas seulement naturel, mais inhérent à l’esprit humain ; et, par conséquent, un tel système est nécessaire et indispensable à chaque homme. Sans un tel système, en effet, l’esprit de l’homme est dans le vide, il n’existe pas. »

Que le besoin d’un tel système soit inhérent à l’esprit humain, rien de moins douteux ; et qu’il se soit manifesté dans tous les temps, l’histoire entière en témoigne. Est-il, par exemple, une période plus agitée en apparence que celle que l’on désigne sous ces mots : le moyen âge ? Eh bien, « au milieu de tant d’élévations prodigieuses et de tant de chutes non moins remarquables, toujours la société, dans ce grand espace de temps, est restée fondamentalement la même. Bien des commotions, sans doute, et d’innombrables changemens ont eu lieu dans cet espace de temps si long ; les mœurs, les lois, les croyances se sont modifiées sans cesse : mais toutes ces évolutions s’accomplirent dans le sein du même ordre social et religieux ; et pendant qu’elles s’accomplissaient, le système lui-même, dans son essence, restait immuable et vivait toujours de la même vie. Car la circonférence de l’esprit humain restait la même ; la terre et le ciel ne changeaient pas ; la terre livrée à une inégalité consentie, le ciel ouvert à chacun suivant ses mérites… Ainsi l’homme tout entier était rempli ; tous les problèmes que son esprit pouvait soulever avaient leur solution, toutes les maladies de son âme leur remède. »

Mais voici qui est plus surprenant encore. « La philosophie du XVIIIe siècle se rapporte assurément au principe d’examen et de liberté ; » et cependant, « quel siècle a été plus dogmatique, plus audacieusement et, à bien des égards, plus follement affirmatif sur Dieu, l’homme et la nature que le XVIIIe siècle ? » Et qu’on ne crie pas à la contradiction ; car « c’est ne rien sentir de la vie du