Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bancs. Les flamans roses, rangés par milliers, et aussi hauts que des hommes, simulent les alignemens d’une armée.

Quant aux vautours, c’est une bonne distraction que d’observer leurs ébats. Les percnoptères étiques dont la livrée varie suivant le sexe, planent de toutes parts autour de nous ou bien disputent aux chiens des riverains des entrailles et des têtes de poisson. Vulgairement on appelle poules de Pharaon ces petits vautours [Neophron percnopterus] que les anciens Egyptiens tenaient pour divinités solaires. Un grand vautour fauve [Gyps fulvus], haut de près d’un mètre, attira mon attention. Gravement, il marchait le long du talus déclive. Son des voûté, sa tête chauve, son allure mélancolique que ne diminuaient point ses pas sautillans, lui donnaient quelque ressemblance avec ces gnomes des solitudes qui gardaient jalousement les trésors enfouis dans les sépulcres des Rois.

Ce vautour, dont les ancêtres tinrent jadis entre leurs serres le disque du soleil, sur le portique des temples, errait dans l’attente d’une aubaine possible. Par la coupée des cuisines tombe souvent à l’eau plus d’une chose mangeable. Peut-être attendait-il aussi une plus importante occasion. Mais la police du Canal, toujours sévèrement observée, interdit absolument d’y jeter les corps morts. L’observance de ce règlement me fut rappelée, le jour même, par un exemple à noter.

Vers cinq heures du soir, passa, à nous ranger, la « Medinah, » le vaisseau du Shérif de la Mecque, lourde, noire et silencieuse, comme le Vaisseau Fantôme. Sous sa charge de pèlerins maures et syriens, elle allait, sans qu’on entendît une parole, à faire croire que tous ces hommes, de couleurs et de costumes variés, ne fussent que des ombres. C’est à peine, si le commandant turc et son état-major, dressés sur la passerelle, donnèrent signe de vie quand on les salua : rien ne remua dans ce groupe d’hommes vêtus de noir, coiffés de rouge, couturés d’or. Tout passa, jusqu’aux femmes enveloppées dans des mousselines blanches et dont les yeux seuls luisaient, entre les voiles opaques, aux fenêtres carrées du château d’arrière. Et quand cette apparition brillante eut passé, à son tour, on ne vit plus que la poupe basse et massive, d’où pendait une corde. Au bout, venait un long ballot ficelé qui, tour à tour, saluait et plongeait dans le remous du sillage. Ainsi ce sac de toile grossière, tiré à la traîne par la « Medinah » du Shérif, terminait-il la procession, pour montrer, sans doute, la fin nécessaire