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Lentement, le train poussif continue de monter. Il grimpe à flanc de coteau, s’enlace autour des buttes, tel un serpent, s’arrête devant des gares rustiques où des indigènes s’empressent, chargés de paquets ; l’un d’eux s’introduit dans un wagon avec un matelas roulé, deux fois plus gros que lui. Par endroits, la voie est si étroite qu’on côtoie le vide. Mais on peut se pencher à la portière : le précipice n’a rien d’effrayant, tant ses parois sont tapissées de verdure. D’ailleurs les travaux des ingénieurs anglais ont la réputation de valoir par la solidité. Partout où je suis passé, dans l’Inde, je n’ai rien vu qui contredit cette renommée. Malgré les éboulemens dus aux infiltrations, malgré les inondations qui affouillent le sol, descellent les traverses, suspendent les rails au-dessus de fondrières, le trafic se fait sans interruption. La main d’œuvre n’est point chère ; ce sont des femmes qui transportent la terre, les briques, la chaux, dans des corbeilles. Par files, les modestes canéphores vont et viennent, leur démarche lente indique la pesanteur du fardeau. Un homme cependant les accompagne, chargé seulement d’un petit bâton. Je ne serais pas surpris que cet homme noir à chignon fût payé plus cher que les femmes de somme.

De Kandy même, rien de particulier à citer et qui ne se trouve dans les guides. Tout comme Colombo, la vieille capitale des rois Cinghalais, aujourd’hui devenue simple lieu de plaisance, possède son lac. Il est ombragé de belles rangées d’arbres, entouré par une bonne route en ceinture. Kandy possède aussi de confortables hôtels et jouit d’un excellent climat, grâce à son altitude moyenne qui n’excède pas six cents mètres. Des coteaux boisés l’enserrent de deux côtés, entre eux s’allonge le chemin de Péradényia qui possède le plus beau jardin botanique du monde, si l’on en excepte ceux de Calcutta et de Buitenzorg à Java.

C’est donc entre les coteaux dits « de Lady Horton » et l’établissement botanique de Péradényia que j’ai partagé mon temps. Je ne l’ai perdu nulle part. Négligeant le temple peu intéressant de Kandy où est conservée la fameuse dent du Boudha sous sa coupole d’orfèvrerie moderne, négligeant ses bonzes imposteurs qui ignorent tout de leur religion, au dire des orientalistes les plus compétens en la matière, j’ai passé mes matinées et mes journées à courir par les bois qui s’étagent au-dessus du temple et de la résidence du Gouverneur. Bien que la saison fût peu favorable, j’ai été payé de mes peines et mes récoltes ont été fructueuses.