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fer, pour enserrer jusqu’à mi-hauteur la carre en demi-lune qui fait le caractère de ce bonnet à l’antique. En vérité, c’est bien le Soupou des anciens jours.

Il m’a entraîné vers son hôtel dont le portique à piliers est toujours orné des mêmes gravures représentant des accidens de voyage. Jadis, avec mon défunt ami Paul Masson, ce nous était un plaisir toujours nouveau de les contempler et d’en faire les honneurs aux nouveaux venus. On y voyait, entre autres, des pirates algériens tenant négoce de dames d’Europe surprises à bord d’un bateau. Les pirates et leurs esclaves sont toujours en place, bien que le gouvernement n’ait plus le même intérêt à exciter le sentiment public contre le Dey d’Alger.

Mais ces gravures sont les seuls restes de splendeurs maintenant abolies. L’hôtel de mon ami Soupou, suivant la fortune de notre colonie indienne, est entré en pleine décadence. Et cette décadence est allée s’accentuant depuis que le trafic par navires à voiles, entre les Mascareignes et la côte de Coromandel, est tombé à rien, tué par les cargo-boats anglais. Le délabrement de l’Hôtel de Paris et de Londres s’explique par le manque de cliens. Ce n’est pas la concurrence qui l’a tué, c’est la stagnation des affaires. Les capitaines aux longs cours composaient le plus clair de sa clientèle. Depuis longtemps, ces gens de mer ont déserté le rivage. Et, par une ironie du sort, il semblerait que plus le Pier s’avançait dans les flots pour accueillir les arrivans, plus le commerce s’en éloignait.

Chargé par les vœux de Soupou Krichnassamy de ramener la fortune dans l’Hôtel de Paris et de Londres, j’y ai ramené, au moins, la pratique du balayage, et aussi celle des moustiquaires qui ne soient point percées de trous à y passer le corps. Seul habitant du lieu, j’y commande despotiquement à un nombreux domestique, toujours absent, tant il apporte d’empressement à prévenir mes ordres. Mes gens sont trop, je ne puis me faire servir, car j’ai encore, pour mon usage particulier, une demi-douzaine de fainéans chargés de fonctions diverses. Ceux-là sont sous la coupe de mon « pion » Cheick Ismaël, qui est ici mon interprète et mon intendant.

Un pion, vous le savez, est une sorte d’huissier à chaîne que le Gouvernement entretient pour le service des fonctionnaires. Le Gouverneur de nos Établissemens français dans l’Inde, M. Rodier,