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Une fois dressées sur le panneau qui complète la selle de leurs bêtes, les divinités s’avancent de front. Des corvées de soixante hommes ont enlevé le tout sur leurs épaules et les brancards s’avancent au-dessus de la foule, à la lueur des torches qui se multiplient à chaque pas. Les lampadophores sont des enfans ou des jeunes garçons, peu d’hommes faits. D’autres apportent des petits vases pleins d’huile de coco, y puisent à pleine main et répandent le liquide sur les torches qui s’inclinent vers eux. Une femme suit, avec, sur sa tête, une panelle de cuivre non moins évasée que ses hanches, et qui les égale en ampleur. Celle-là aussi est une porteuse d’huile, et son torse de bronze, luisant aux feux des flambeaux, emprunte ses reflets aux tons sanglans de ses pagnes et de son court corset en brassière. Elle se perd dans le cortège qui côtoie la pagode. A droite, à gauche, des lumières volent rapidement, escortant la fuite d’un parasol sous lequel une petite divinité passe, légère ainsi qu’un oiseau d’or. Chacune représente un gardien, un pion à massue qui mène surveillance autour du temple, autour des dieux, tant les mauvais génies sont subtils, toujours prêts à nuire, si on ne s’occupe de les écarter.

Les trois idoles, toujours de front, se rapprochent du char où on va les déposer pour qu’elles parcourent sept fois la grande rue avant de commencer le tour de la pagode. Autour des brancards, la foule est si pressée, qu’elle figure les flots d’une mer houleuse où flotteraient les images des dieux. Les tambours battent, la trompette géante mugit, et le grand taureau luit en éclairs d’argent avec son fardeau divin emmaillotté de fleurs. Des montans du char dévalent en cascades les guirlandes de jasmin. Rappelant un démesuré lit à colonnes, ce char large de huit mètres en dépasse six en hauteur. Et comme les roues sont disposées sur les petits côtés qui n’excèdent pas quatre mètres, ce véhicule monumental tient presque toute la largeur de la voie. Le baldaquin en est habillé de fleurs. Leurs parfums lourds se mêlent aux odeurs des aromates, des huiles qui flambent, des sucreries, des pâtisseries. C’est une fête qui s’adresse aux yeux, à l’esprit et au ventre. Le dévot hindou ne se contente point d’abstractions. Des deux côtés de la rue, comme le long de la façade du temple, scintillent les étalages des échoppes, des boutiques en plein vent, avec leurs mille petits lampions.

Au milieu du char se dresse le taureau d’argent. Il luit, tel un