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enlizé dans le sable, juste devant la mairie. En effet, les bayadères ne peuvent se livrer à des danses profanes sous les regards du dieu qui, suivant son habitude, ne montre que son nez doré entre les guirlandes de fleurs. Une des hiérodoules se livre alors à une pantomime assez gracieuse. Ses gestes naturels, sa figure expressive, tour à tour désolée et ravie, nous montrent ce qu’éprouvèrent les amantes des poètes hindous, délaissées par leurs dieux. Puis la petite actrice commence de chanter. Sa mélopée traînante et nasillarde ne serait pas sans quelque douceur si les musiciens avec leurs clarinettes et leurs tambourins n’écrasaient la voix de la chanteuse sous leur accompagnement barbare. Enfin la bayadère se tait. On lui donne un rouleau de roupies de la part du Gouverneur, je lui celle un souverain sur le front et je m’enfuis sans espoir d’assister à la marche du Char de Çiva, définitivement bloqué dans le sable.

Tout à la fois cupides et prodigues, avares et fastueux, craintifs et enthousiastes, les Hindous prisent avant tout, dans les hommes comme dans les fêtes, la magnificence extérieure et l’ampleur du geste. Riez ! Mais je vous dirai que le don d’une misérable pièce d’or a produit un effet considérable. Quand je collai ce souverain sur le front moite de la bayadère de Villenour, un murmure flatteur passa dans la foule des notables. L’un d’eux dit même : « Voici un Français qui connaît bien les usages. C’est y obéir que de ne toucher une fille de caste qu’avec de l’or. » Cependant un autre murmurait en clignant de l’œil du côté de Chanoumougamodélyar. « Il ne serait pas longtemps le maître ici si ce Français tenait le pouvoir... on nous ferait marcher plus vite que le pas... comme dans l’ancien temps. »

Quand on me traduisit le propos, il était trop tard pour répondre. Voici ce que j’aurais dit : « Ne craignez rien, honorable chetty, un pareil malheur ne vous arrivera pas. On continuera de vous envoyer, sous couleur de vous gouverner, un fonctionnaire qui redoutera assez Chanoumouga et son député pour ne rien entreprendre sans leur congé ! Et si, par grand hasard, ce Gouverneur se permettait de vous’gouverner, il suffira d’envoyer d’ici un télégramme à Paris pour que le Ministre rappelle aussitôt son agent. Vous avez à Pondichéry des Français qui ont soin d’accomplir vos volontés en ce sens. Pour moi, je ne suis qu’un passant, qui ne s’intéresse qu’aux monumens, aux usages anciens, à la