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nature et aux bêtes. »…Je reviens au dieu Çiva : aussi bien n’aurais-je pas dû m’en écarter pour si peu. Le char du dieu a mis deux jours entiers pour accomplir sa promenade solennelle. La dernière cérémonie ne s’est donc donnée que dans la nuit de samedi, je ne me suis pas fait faute d’y assister. Dès neuf heures du soir nous roulions sur la route de Villenour, aussi officiellement que possible, avec le Chef de Cabinet du Gouverneur, et des pions à baudrier. Mais, à l’entrée des faubourgs, la voiture a donné dans un cortège de palanquins, de chars, d’enfans à cheval et de porteurs de flambeaux. Des musiciens musulmans, coiffés de turbans rouges, ouvrent la marche, sur une profondeur de trois rangs. Un Hindou s’élance vers nous, dans un flot de mousseline blanche, et je reconnais l’administrateur de la pagode. Dirigerait-il une procession pour son compte ? Non point : nous croisons le cortège nuptial de son fils adoptif, et il nous prie d’assister au moins au défilé. Aussitôt on nous passe au cou des guirlandes de jasmin, on nous asperge d’eau de roses et nous regardons. Voici tout un escadron de petits garçons sous des tuniques en velours, lamées d’or et d’argent, brodées, tous à califourchon sur des chevaux blancs ou gris magnifiquement harnachés. Les plus petits se tiennent à l’arçon de la selle, mais la bête va au pas et un saïs la tient par la figure. Suivent des brancards où sont disposés des flambeaux par centaines. La route en est éclairée jusqu’au plus prochain tournant. Au milieu de ces flambeaux voici des grands palanquins rutilans où sont appliqués des figures, des déesses, des dieux, des génies, tous de dimensions colossales. Puis le palanquin de la mariée, véritable temple suspendu, rehaussé de brocart, de clinquant, de verroteries, de fleurs. Il oscille sur les épaules de cinquante hommes, peut-être. Et sur le trône d’orfèvrerie, encadrée par les arcatures ajourées, la mariée accroupie, figée dans une attitude de statue, lourde de joyaux, casquée de jasmin. C’est une toute jeune enfant. Sa figure ovale, couleur chamois, s’éclaire brusquement en rouge. Les inévitables feux de Bengale enflamment l’air et le palanquin s’éloigne comme s’il flottait sur une mer de feu.

Nous reprenons notre route, emportant nos guirlandes, et bientôt nous en recevons encore. Dès l’entrée de la pagode, les Brahmes nous accueillent, nous disparaissons sous le jasmin. Cette fois la fête religieuse se donne sur l’eau. L’étang sacré, réfléchissant