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les flammes des pots à feu, montre ses séries de gradins, ses portiques en cloîtres, fourmillant de peuple. Têtes noires, vêtemens blancs roses, écarlates, s’éclairent aux lueurs dansantes de mille torches. L’eau sombre se moire de longues traînées d’or. Assis à l’angle du grand perron, je ne perds rien de l’embarquement des dieux sur le radeau. Ses charpentes sont façonnées en manière de temple. Vraie pagode flottante, il possède son haut portique pyramidal, son gopura étage, son sanctuaire avec l’autel carré où l’on dépose en grande pompe l’image de la déesse Parvati, Kochliamballe, pour mieux dire ; c’est en son particulier honneur que l’on donne cette fête nocturne ; c’est elle qui va être promenée sur le radeau. Voici une occasion bonne entre toutes pour les buccinateurs sacrés. L’air est déchiré par les stridentes fanfares. Si les divinités pouraniques n’accourent point à cet appel, il faut désespérer de leur bienveillance. Des porteurs de pots à feu se groupent, et un pion de police, reconnaissable à son costume occidental de coton blanc, à son ceinturon noir, à son i turban rouge, prend pied sur le radeau où il représente le bras séculier, l’administration des cultes. Près de moi le commissaire de police de Villenour, un magnifique Hindou, accentue, par son écharpe tricolore le caractère officiel des choses. Un Brahme s’attache à ma personne et par l’entremise du commissaire, qui sert de truchement, je suis renseigné sur toutes les particularités de la fête. Ce sacerdote, discrètement, approuve mon enthousiasme pour cette magnifique religion assez sûre d’elle pour ne point admettre de prosélytes. On peut perdre sa caste, être exclu du brahmanisme, — de l’hindouisme, pour mieux dire, au sens moderne des mots, — mais on n’y peut pas entrer. C’est grand dommage. Pour un peu, répudiant mes origines, j’aurais demandé l’initiation au Çivaïsme !

Quelques Brahmes, cependant, s’embarquent sur le radeau toujours maintenu au pied du perron par ses amarres. L’un s’assied à cropetons sur l’autel, au pied des statues dorées, dont les bras brandissent leurs attributs habituels. Çiva a dans ses huit mains le trident, le daim, l’arc, la massue, le tambour, la corde, l’épée et le disque du tonnerre. Soubramanyé a l’arc, les flèches, et le glaive, autre image de la foudre. Parvati tient une fleur du lotus dans deux de ses quatre mains. Des deux autres, l’une est dressée, dans le signe qui rassure, l’autre largement ouverte dans le signe de la charité.