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ancienne puissance, avait succédé contre la Grande-Bretagne, alliée de Frédéric II, destructrice de notre flotte, maîtresse de l’Inde, du Canada et de nos plus belles colonies, un antagonisme profond, passionné, qui, s’échauffant au souvenir des luttes d’antan, devait, pendant plus d’un demi-siècle, jusqu’à Waterloo, agiter de son souffle les âmes françaises. Au moment où la guerre d’Amérique éclata, Napoléon Bonaparte entrait à l’École militaire de Brienne, et son jeune esprit,. comme celui de ses contemporains, — les futurs soldats de la Révolution et de l’Empire, — se forma en un temps où il n’était bruit que des exploits des escadres françaises, et où la capitulation d’Yorktown était célébrée comme une première revanche de Rosbach.

Dans un mémoire adressé à Louis XVI et rédigé, sous l’inspiration de Vergennes, par un de ces premiers commis des Affaires étrangères qui ne laissaient prescrire ni par le temps, ni par les vicissitudes, les traditions d’une diplomatie dont ils se considéraient comme les gardiens, on lit ces saisissantes paroles : « La paix déplorable de 1763, le partage de la Pologne et bien d’autres événemens également malheureux avaient porté la plus grave atteinte à la considération de votre couronne... La paix humiliante de 1763 avait été conclue au prix de nos établissemens, de notre commerce et de notre crédit dans l’Inde, au prix du Canada, de la Louisiane, de l’île Royale, de l’Acadie et du Sénégal ; elle avait établi chez toutes les nations qu’il n’y avait plus en France ni force, ni ressource ; l’envie qui, jusque-là, avait été le mobile de la politique de toutes les Cours à l’égard de la France, dégénéra en une sorte de mépris ; le cabinet de Versailles n’avait plus ni crédit, ni influence dans aucune Cour ; au lieu d’être, comme autrefois, le centre des grandes affaires, il en devint le paisible spectateur ; on ne le consultait plus ; on ne comptait plus pour rien son suffrage ou son improbation ; en un mot, la France, c’est-à-dire l’État le plus puissant de l’Europe, était devenue d’une inutilité absolue ; elle était sans crédit auprès de ses alliés, sans considération auprès des autres Puissances... »

A un autre moment, Vergennes écrivait encore, au sujet de cette douloureuse époque, ces lignes où il y aurait tant à retenir :

« Il suffisait de relire le traité de Paris pour y puiser un sentiment d’indignation et de vengeance. La Cour de Londres, au moment où la force des circonstances les lui procurait (ces avantages résultant du traité de Paris), était bien persuadée que leur observation