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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/399

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ne durerait qu’autant que nous serions dans l’impuissance de nous en affranchir... Je ne crains point de le dire, Sire, une nation peut éprouver des revers et elle doit céder à la loi de la nécessité et de sa propre conservation ; mais, lorsque ces revers et l’humiliation qui en a résulté sont injustes, lorsqu’ils ont eu pour principe et pour but l’orgueil d’un rival influent, elle doit, pour son honneur, pour sa dignité, pour sa considération, elle doit s’en relever, si elle en trouve l’occasion. Si elle le négligeait, si la crainte l’emporte sur le devoir, elle ajoute l’avilissement à l’humiliation, elle devient le mépris de son siècle comme des races futures... Ces importantes vérités. Sire, n’ont jamais quitté ma pensée ; elles étaient déjà profondément gravées dans mon cœur, lorsque Votre Majesté m’appela dans son Conseil, et j’attendis avec une vive impatience l’occasion d’en suivre l’impulsion. Ce sont ces mêmes vérités qui ont fixé mon attention sur les Américains, ce sont elles qui m’ont fait épier et saisir le moment où Votre Majesté pourrait assister cette nation opprimée avec l’espoir bien fondé d’effectuer leur délivrance... »

Ce n’était pas seulement le ministre des Affaires étrangères qui, à cette heure-là, pensait ainsi, mais le roi de France lui-même. Dans une lettre qui, à vrai dire, scella l’alliance de la France et de l’Espagne, en confirmant le pacte de famille, Louis XVI, peu avant l’ouverture des hostilités, mandait à son oncle Charles III : « Je crois qu’à présent le moment est venu de ne plus songer qu’à prendre les moïens propres pour humilier l’ennemie naturelle et la rivale de notre maison. »

Ce qui prévalut dans l’alliance de la France et des États-Unis, ce fut donc, de leur côté, un grand intérêt national, du nôtre un puissant intérêt politique.

En Amérique, sans autrement se’ soucier des spéculations philosophiques de l’époque et des théories de Rousseau, invoquées, le cas échéant, pour ajouter à la faveur de l’opinion, les colonies anglaises, en présence d’une violation répétée de leurs droits, obéirent, avant tout, à l’inébranlable volonté de s’assurer une indépendance qui était, à leurs yeux, le plus précieux des biens et le gage de leur avenir : « Anglais, vous êtes esclaves, écrivait Thomas Paine aux applaudissemens de ses compatriotes. Soyez Américains, libres citoyens d’un État indépendant. » Dans toute l’Union, le mot d’ordre fut le même.

En France, si les vaillans efforts des « insurgens » excitèrent.