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entretiens avec Hamilton, secrétaire de la Trésorerie, Ternant put aisément se convaincre que l’alliance politique, qu’il avait mandat de négocier, était strictement subordonnée à cet intérêt commercial qui, pour les États-Unis, avides de s’assurer des débouchés nouveaux et importans, primait tout le reste.

« Le commerce, l’industrie et la population, écrivait Ternant à ce propos, augmentent journellement. Le dénombrement fait en dernier lieu par ordre du Congrès évalue toute la population des États-Unis à 4 millions (elle dépasse aujourd’hui 80 millions.) Diverses manufactures commencent à fleurir dans les villes principales et, indépendamment des établissemens particuliers qui ont été créés dans différens États et qui ont fait des progrès considérables, on propose aujourd’hui une souscription générale pour l’encouragement de plusieurs manufactures de première nécessité... Le président veille particulièrement à la construction de la ville fédérale (Washington, la future capitale) qui doit être bâtie sur les bords du Potomac. C’est un officier français (M. l’Enfant) qui en a levé le plan et distribué le terrain ; il aura aussi la direction des bâtimens que le Congrès se propose d’y faire élever. »

A Philadelphie, Ternant ne cessa de se montrer un diplomate avisé et vigilant : il discerna fort bien que, même à cette heure décisive de la Révolution française, les États-Unis, dominés par le souci d’assurer leur existence et de la rendre prospère, n’accordaient aux événemens du dehors, même les plus importans, qu’une attention secondaire. « Depuis plusieurs jours, écrit-il le 15 juin 1792, nous avons la nouvelle que l’Assemblée a décrété et le roi promulgué la guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie. Le gouvernement de ce pays, tout entier aux intérêts de son commerce, a reçu cette nouvelle avec indifférence. » Un peu plus tard, il dit encore : « Les personnages qui se mêlent ici d’affaires publiques s’occupent peu de celles des autres nations et s’intéressent faiblement à une guerre de terre en Europe qui ne peut affecter ni leur puissance territoriale, ni leur commerce. »

Malgré cela, l’envoyé français ne pouvait s’empêcher d’être vivement préoccupé par la persistante attitude du secrétaire d’Etat. Jefferson, « qui s’enveloppait de lieux communs et dont la conversation était empreinte d’une réserve que n’eussent pas dû comporter les rapports de son pays avec le nôtre. » Ternant s’expliqua mieux ce mutisme, quand il apprit que de longues conversations relatives à un projet de traité anglo-américain avaient lieu