Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exploitation de leurs produits, ainsi que l’espérance de profiter des émigrations que les malheurs d’une guerre occasionnent presque toujours. Une rupture entre les grandes puissances maritimes de l’Europe peut seule causer ici une vive sensation et, tant que les Anglais seront en paix avec nous, les Américains n’éprouveront probablement, au sujet de notre guerre actuelle que des sentimens inactifs de bienveillance, produits par le souvenir de nos anciens efforts en leur faveur, et exprimés par les vœux qu’un peuple libre doit naturellement faire pour le succès d’une guerre qui intéresse la liberté. »

Ternant, pour sa part, s’appliquait à conjurer cette éventualité belliqueuse si contraire aux intérêts français, lorsque, quelques semaines après le renversement de la royauté, il apprit, quoiqu’il se fût montré prêt à servir la République qui venait d’être proclamée, qu’il était remplacé. Son successeur était Genet, ministre de France en Hollande, militaire devenu diplomate comme Ternant lui-même et qui, bien qu’étant le frère de Mme Campan, l’ancienne femme de chambre de Marie-Antoinette, professait alors des opinions d’un jacobinisme exalté. Du moins, en quittant les États-Unis, Ternant pouvait-il se rendre cette justice que la lecture des dépêches qu’il avait écrites et de celles qu’il avait reçues suffirait dans l’avenir pour confondre ses détracteurs : « Né, dit-il, dans une obscure mais irréprochable pauvreté, je ne dois mon avancement qu’à des services rendus dans l’armée et la diplomatie… Je n’ai pas fait ma cour aux grands sous le gouvernement royal, et je ne la ferai pas non plus aux puissans sous le régime républicain ; je tiendrai à ces derniers le même langage que celui que j’ai tenu aux premiers, celui de la vérité et de l’honnête indépendance, mais j’ai beaucoup à gémir de l’abandon où le ministère ancien et nouveau m’a laissé dans les circonstances les plus graves, de mes vains efforts pour provoquer son attention sur les affaires de Saint-Domingue, enfin de mon abrupt remplacement sans rappel ni avis préalable… » La vérité, c’est que jusqu’à la fin de son séjour en Amérique, Ternant ne cessa point d’adresser à Paris des renseignemens pleins de clairvoyance et de bon sens. Il n’en fut récompensé que par une série d’amertumes. Mieux connue aujourd’hui, sa mission reste pour son nom un titre d’honneur, acquis au milieu des événemens qui, pour rappeler une de ses expressions, avaient agité et changé le gouvernement de sa patrie.