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III

Le mémoire rédigé pour servir d’instructions au citoyen Genet, « adjudant-général colonel, allant en Amérique en qualité de ministre plénipotentiaire de la République française près le Congrès des États-Unis, » ne lui prescrivait pas seulement de s’attacher à faire sentir aux Américains « qu’ils n’avaient pas d’allié plus disposé que le peuple français à les traiter en frères ; » conforme à la mode du jour et tout semblable à un chapitre de réquisitoire, il accusait la royauté d’avoir commis contre les deux nations « une trahison liberticide, » qui les avait l’une et l’autre empêchées de recueillir le bénéfice de leur alliance. Rééditant les accusations que Lee, John Adams, Jay et leurs amis, pour combattre l’influence de la France, avait dirigées contre le gouvernement de Louis XVI, les auteurs de ce mémoire rapportaient que, s’étant fait présenter les instructions données aux prédécesseurs de Genet, ils y avaient constaté avec indignation qu’au temps même où « le bon peuple d’Amérique nous exprimait sa reconnaissance de la manière la plus touchante et nous donnait toute sorte de témoignages de son amitié, » Vergennes et Montmorin n’avaient visé qu’à empêcher les États-Unis « de prendre la consistance politique dont ils étaient susceptibles, » dans la crainte de les voir bientôt acquérir une force dont ils se seraient empressés d’abuser.

Oubliant ou ignorant que c’était Washington lui-même qui avait empêché l’expédition du Canada projetée par Lafayette, et que, dans l’affaire des deux Florides, la France avait dû tenir compte de l’intérêt de l’Espagne, alors son alliée, les auteurs du Mémoire, peu soucieux du tact, comme du secret diplomatique, ajoutaient :

« Le même machiavélisme avait dirigé les mêmes opérations de la guerre pour l’indépendance ; la même duplicité avait présidé aux négociations de la paix. Les députés du Congrès avaient témoigné le désir que le cabinet de Versailles favorisât la conquête des deux Florides, du Canada et de la Nouvelle Écosse, mais Louis et ses ministres s’y refusèrent constamment, regardant la possession de ces contrées par l’Espagne, et par l’Angleterre comme un principe utile d’inquiétude et de vigilance pour les Américains.