Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forcés d’abandonner le champ de bataille au peuple qui a brûlé paisiblement l’effigie de John Jay. »

Si grande que soit l’effervescence populaire, à laquelle le ministre anglais se montre fort indifférent, affectant d’assister de ses fenêtres au défilé des cortèges qui crient : « A bas l’Angleterre ! » Adet se fait peu d’illusion sur les décisions définitives de Washington et du gouvernement américain :

« Depuis sa nomination à la présidence écrit-il, le 17 juillet 1795, Washington a observé la Constitution avec une attention scrupuleuse, jamais il ne s’en est écarté et, quelles que soient les plaintes et les murmures du peuple américain, invariable dans son plan de conduite, Washington ratifiera le traité par cela seul qu’il a eu l’approbation de la majorité du Sénat et que la ratification dans ce cas lui paraît un de ses devoirs constitutionnels. Accoutumé, d’ailleurs, à se voir l’idole du peuple américain, il pense que la volonté publique se taira devant la sienne, et il espère, d’ailleurs, que l’influence et les efforts des amis de l’Angleterre contraindront nos amis au silence. Déjà ils s’agitent de toutes parts et Hamilton n’a pas rougi de s’avouer dans la Bourse, dans les cafés de New-York, comme le chevalier du traité et a défié tous ceux qui y étaient de soutenir une discussion avec lui. »

Il faut croire, cependant, que, malgré ses prévisions, Adet conservait quelque espérance de voir Washington se refuser à la ratification de ce traité, jugé si contraire à l’intérêt français. Quand il apprend que c’est un fait accompli, son émotion est extrême, et la philippique qu’il envoie à Paris si violente qu’on la dirait sortie de la plume de Genet.

« Mes conjectures, écrit-il, se sont vérifiées ; le Président vient de signer le déshonneur de sa vieillesse et la honte des États-Unis, il a ratifié le traité de commerce et d’amitié avec la Grande-Bretagne ; Hammond, ministre de l’Angleterre, est parti de New-York pour l’Europe, le 1er fructidor, avec le gage certain de la soumission aveugle de Washington aux volontés suprêmes de Georges III... Les sentimens de servitude qui l’attachaient à l’Angleterre et que l’ambition avait seule comprimés pendant vingt ans se sont déployés avec tout leur ressort ; satisfait d’avoir gouverné en maître un peuple qui le respecte comme son père, qui croit ses destinées attachées aux siennes, Washington veut expier ses torts envers Georges III, en lui rendant à sa mort, comme un troupeau de bêtes