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de somme, les hommes qu’il avait pris pour ainsi dire à bail. »

Poursuivant contre Washington ce réquisitoire indigné, Adet l’accuse « d’avoir méconnu la gloire qui touche les grands hommes et de l’avoir stupidement échangée contre le faux éclat de la puissance ; » puis, se laissant entraîner aux pires injures il ajoute : « Il est arrivé pour les États-Unis, ce jour où, dépouillé du prestige dont il était environné, Washington n’est plus, pour le petit nombre d’hommes qui pensent, ce héros colossal dont l’Amérique pouvait s’honorer à jamais, mais un misérable que la crédulité superstitieuse avait agrandi comme par un miroir magique ; il n’est plus le sauveur de son pays, mais un ambitieux qui vend un peuple livré par trop de confiance à sa discrétion. Des vérités contenues par la barrière de l’opinion, par la répugnance qu’on avait à blesser un homme qui méritait quelque reconnaissance, à qui on supposait de bonnes intentions, s’échappent comme des torrens... On sait que Washington fut soldat par hasard, mais qu’il n’a jamais été homme d’État ; que jamais une idée qui exigeait quelque effort d’esprit ne s’est présentée à son imagination rétrécie ; qu’il a toujours été obligé, pendant la guerre, depuis qu’il est président et même pour les affaires privées, pour les rapports de société, d’emprunter une plume étrangère, et (qu’il n’a jamais su que copier servilement ce qu’une main officieuse lui avait tracé. On sait que le colonel Humphry à l’armée, Hamilton sous sa présidence, dans son intérieur son neveu d’Andriger lui ont prêté les ressources de leur entendement. On sait enfin que, si Georges a un Pitt, Washington a un Tralton, et que les passions de son ministre, combinées avec les siennes, avec ses affections et ses penchans, ramènent enfin l’Amérique sous le joug de l’Angleterre et produisent un état de choses fatal à ce pays, à la France et peut-être à l’Europe, si quelque combinaison politique ne le fait changer... Vous serez peut-être étonnés que le peuple d’Amérique, à qui l’on prête plus de lumières et de connaissances qu’il n’en a réellement, ait été si longtemps la dupe du fantôme d’un grand homme, mais permettez-moi de vous rappeler que, si Robespierre n’eût pas été un tyran farouche et sanguinaire, son empire sur l’opinion publique n’aurait pas été si facilement renversé, et, cependant, qu’était-il au Comité du salut public ? »

Nul n’ignore la justice que la postérité a rendue à celui qu’Adet, dans un mouvement de déraisonnable colère, qui ne