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saurait être excusé par l’ardeur d’un patriotisme mal compris, en était venu à qualifier de « fantôme d’un grand homme. » Il n’est pas moins vrai que cette satire, plus digne d’un pamphlétaire que d’un diplomate, reste comme l’écho à peine affaibli d’un temps où les plus vives passions s’agitaient autour des envoyés de la France révolutionnaire. Dans leurs appréciations ceux-ci se rencontraient avec beaucoup d’Américains, et parfois non des moins célèbres. Jefferson, le futur président des États-Unis, ne s’élevait-il pas lui-même, presque à la même heure, en termes véhémens « contre les hommes qui naguère étaient des Salomons dans le Conseil et des Samsons sur le champ de bataille, et qui s’étaient laissé couper les cheveux par la prostituée d’Angleterre ? »

Il fallait, en tous cas, que les luttes politiques eussent, à ce moment, atteint aux États-Unis une rare exaltation, pour que, envoyé en Amérique afin de réagir contre la désastreuse impression produite sur le : gouvernement américain par les actes de son prédécesseur, condamné aussi sévèrement à Paris qu’à Philadelphie, Adet se fût presque immédiatement approprié ces procédés, renchérissant encore sur leur audace et leur véhémence.

A peine pourrait-on invoquer, à sa décharge, — le patriotisme n’excuse point un tel égarement, — l’irritation que lui causa la conclusion du traité, par ses prédécesseurs et lui-même si combattu et tant redouté, qui éloignait les États-Unis de la France pour les rapprocher de l’Angleterre, alors notre pire ennemie. Ce que notre ministre ne voulait point s’avouer, c’est que ce traité, négocié par Jay, accepté par le Sénat, ratifié par Washington, était, en grande partie, la conséquence fatale, et certainement très logique, de la série d’imprudences et de témérités commises, de l’autre côté de l’Océan, par les représentans de la Révolution française. Il y avait là, si l’on peut ainsi parler, l’expiation de la faute si grave qu’ils avaient commise en s’efforçant d’opposer au pouvoir légal du gouvernement des États-Unis, fondé sur la Constitution, le vœu d’une portion du peuple dont ils s’étaient indûment érigés en directeurs et en chefs. Moins de deux ans avaient suffi pour que la prévision consignée dans la dépêche du département des affaires étrangères, du 30 juillet 1793, se fût réalisée. En tenant pour lettre morte les judicieuses instructions qui leur avaient été données, nos ministres avaient, presque sans discontinuer, servi au delà des espérances britanniques « l’intérêt que les