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et à souffler le feu entre la Grande-Bretagne et l’Amérique. »

Avec un tel passé, alors qu’il avait consacré sa vie à affermir l’autonomie de son pays, Washington allait-il, dans les graves circonstances que nous venons d’indiquer, livrer son œuvre à tous les hasards d’une guerre qui risquait de la détruire ? Comment n’eût-il pas été dominé par l’absolue préoccupation de consacrer tous les efforts de son patriotisme à empêcher les États-Unis de s’inféoder à aucune puissance étrangère, — pas plus à la France, qui les avait aidés à naître, qu’à la Grande-Bretagne, qui s’était flattée de les empêcher de vivre ?

En un mot, dès l’heure où l’ancien officier de l’armée de Georges III fut devenu le citoyen d’une nation indépendante, il ne pensa plus qu’à celle-ci. Son programme, invariable autant qu’exclusif, fut d’assurer la prospérité, la grandeur, la gloire des Etats-Unis, en écartant d’eux les ambitions et les convoitises de l’Europe. Est-il, pour sa mémoire, un plus beau titre que d’avoir, avec ce ferme et clairvoyant bon sens, imprimé à la politique américaine une aussi féconde direction ?

De même, toutefois, que les ministres anglais avaient qualifié l’ancien défenseur du Canada de traître envers la Grande-Bretagne, les envoyés de la Révolution lancèrent contre le Président des États-Unis cette même accusation d’ingratitude et de trahison à l’égard de la France. Dans les deux cas, l’injustice était égale ; Georges Washington n’avait pas varié. D’un sang-froid inébranlable en ses desseins, sachant s’élever au-dessus des injures, même de celles auxquelles il était le plus sensible, subordonnant toutes choses à la légalité et aux intérêts vitaux de sa patrie, qu’il voulait de plus en plus libre et riche, Washington, une fois qu’il avait eu choisi la voie jugée par lui la meilleure, ne s’en était laissé distraire ni par les assauts des partis, ni par les événemens les plus graves, ni par les menaces de l’extérieur, ni même par son attachement à de chères amitiés ou par l’évocation des plus sympathiques souvenirs.

Après que Washington fut descendu du pouvoir, on vit sous John Adams, Jefferson et leurs successeurs, les événemens justifier ses prévisions. Les luttes qui avaient troublé et attristé les dernières années de son pouvoir, se prolongèrent longtemps encore. Elles s’aggravèrent au point que, le gouvernement du Directoire ayant refusé de recevoir le remplaçant du ministre Monroë à Paris,