est devenu un genre aisément maniable ; les femmes se sont empressées de s’en servir pour contenter l’envie qu’elles avaient de se mettre en scène.
Un attrait de beaucoup de leurs livres, c’est qu’on n’y sent pas l’effort du professionnel : ce sont à peine des livres ; ils n’ont été pour leurs auteurs qu’un divertissement élégant, quelque chose comme une causerie à l’heure du thé, ou une partie de bridge. Cela même en fait l’agrément et l’originalité. Que de fois n’avons-nous pas regretté que certains romans n’eussent de mondain que le titre I Au contraire ces romans dus à des femmes du monde nous arrivent tout imprégnés de l’atmosphère où ils furent conçus. Ils nous renseignent sur certains états d’esprit, et se trouvent, sans y avoir tâché, avoir une valeur de documens. Combien sont précieux, à ce point de vue, les romans de Mme la comtesse de Noailles ! Vivant dans un monde qui est précisément celui où les nouvelles modes intellectuelles sont tout de suite adoptées et exagérées, elle excelle à en reproduire la physionomie. Songez en effet à quelle gymnastique sont condamnées ces malheureuses qui veulent suivre ce qu’on appelle le mouvement des idées et de l’art, et combien il est naturel qu’elles en éprouvent quelque courbature. Il leur a fallu en quelques années s’initier aux esthétiques et aux morales non seulement les plus bigarrées, mais les plus contradictoires. Elles avaient à peine commencé de tolstoïser, qu’il leur fallait devenir ibséniennes ou nietzschéennes. En même temps qu’à la musique de Wagner, elles ont dû s’initier à une peinture et à une poésie nouvelles. Ce n’est pas seulement en art, c’est en sociologie, en philosophie, en politique, qu’elles assistent à la prédication d’évangiles imprévus. Le féminisme est bien porté, et le socialisme est à l’usage des classes riches. On devine quel chaos toutes ces doctrines disparates peuvent faire dans des cerveaux mal préparés pour les accueillir. Quelle incohérence ! Quel fatras ! Quelle prétention ! Telles qui eussent été de délicieuses perruches se métamorphosent en d’insupportables pédantes. C’est cette note de modernisme que Mme de Noailles a voulu donner dans ses livrets au premier abord si déconcertants ; elle y réussit jusque par l’affectation qu’elle recherche dans son style et par l’exotisme de son langage.
Elle non plus, l’auteur de l’Inconstante et de l’Esclave ne se soucie pas que ce soit un métier de faire un livre. Seulement, comme elle est artiste jusqu’au bout des ongles, il lui suffit délaisser courir la plume. A l’appel d’on ne sait quel démon intérieur, accourent les mots harmonieux, les formes élégantes, les nuances délicates. On croyait que le