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roman à garçonnières était un genre bien usé : d’un coup de sa baguette magique elle l’a rajeuni.

J’en pourrais citer bien d’autres. Mais justement ce qui distingue des autres Mme Marcelle Tinayre, c’est qu’avec elle nous avons affaire, et dans toute la force du terme, à un écrivain : elle a, depuis dix ans, déjà fourni une carrière et fait une œuvre de romancière. Il y a dans son talent une part considérable de volonté. Elle a travaillé les classiques du genre et elle s’en souvient. A chaque instant on trouve chez elle des réminiscences de ses lectures, et souvent, tandis qu’elle regarde la vie, les spectacles lui en apparaissent à travers la littérature et déjà, transposés. Elle reconnaît les types ou les descriptions des livres, et ne manque pas de nous les signaler : « Ce jeune homme n’avait rien du Sorel de Stendhal... Je suis aussi grotesque que le petit clerc de notaire qui courtise Mme Bovary... Il représentait assez bien l’Hippolyte de M. Racine... C’était un de ces couples comme on en voit dans les Nouvelles de la Reine de Navarre... etc. » Elle rencontre, dans les rues ou dans les maisons, des personnages de Balzac, d’Eugène Sue, de Maupassant. Dans chacun de ses livres, et quelle que puisse y être la part du souvenir ou de la confidence — la littérature féminine est le plus souvent de la littérature personnelle — on voit bien qu’elle s’est proposé de « traiter un sujet » et de donner à ce sujet une sorte de portée générale. Et chacun représente, sinon un progrès de son talent, du moins un effort pour le renouveler. L’Oiseau d’orage, un de ses plus anciens romans, ne se distinguait que par la sobriété du récit et par l’éclat de la forme, de beaucoup de romans où la femme, dupée par l’égoïsme de l’amant, revient à son mari comme au maître et au sauveur. Dans Hellé, la donnée était plus neuve, et on commençait à voir poindre les idées qui par la suite vont, dans l’œuvre de la romancière, ou s’épanouir, ou s’exalter et se durcir en se précisant. Au lendemain de la Maison du péché, et comme pour se reposer d’un si gros effort, Mme Tinayre s’amuse à une fantaisie rétrospective : la Vie amoureuse de François Barbazanges ; elle va vivre, un temps, parmi les choses d’autrefois pour revenir à celles d’aujourd’hui avec une curiosité plus aiguisée. Après quoi, enhardie par le succès de ses précédens livres, elle ne craindra pas, dans la Rebelle, le dernier en date, d’aller jusqu’au bout de sa pensée et de la présenter, cette fois, sous une forme dure et provocante. Et enfin il lui est arrivé, au cours de son œuvre, de réaliser une de ces réussites, dont on peut dire, si l’on veut, que ce sont d’heureux hasards, mais des hasards dont bénéficient ceux-là seuls qui les ont mérités à force de