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Mme Tinayre a un vif sentiment des choses de la campagne, et, comme on dit, de la poésie de la nature. Cette poésie, dans ses récits, ne se sépare jamais d’une autre avec laquelle elle est si intimement associée qu’on en arrive à ne plus faire la différence ; la nature extérieure n’est, chez elle que le décor de l’amour. Elle sait dire les mille aspects de douceur, de langueur ou d’éclat que prennent les paysages ; mais elle les montre si bien liés aux émotions amoureuses, qu’on est tenté d’y voir autant d’illusions créées par l’amour, la fantasmagorie infiniment nuancée que projette le sentiment. Art du récit, peinture de la vie dans des milieux ou parisiens ou provinciaux, poésie de la nature champêtre et d’une certaine sorte d’amour, voilà ces élémens d’un talent qui humilie celui de tant de nos romanciers !

A ces romans écrits par des femmes, il est naturel que nous demandions des renseignemens sur la femme d’aujourd’hui. Si nous en croyons donc les historiographes qui ont les meilleures raisons pour la connaître, la femme d’aujourd’hui ne vit que pour l’amour. En cela, sans doute, elle ressemble à la femme de tous les temps ; toutefois il y a une différence. Jusqu’ici, tout en poursuivant son rêve amoureux, la femme admettait que l’amour dût compter, ne fût-ce que pour en souffrir, avec toutes sortes de contraintes. Elle connaissait l’inquiétude, le trouble, la honte, le repentir. Ce sont toutes ces vieilles idoles ou toutes ces rengaines auxquelles la femme vient de signifier une bonne fois leur congé. Les héroïnes qu’a pu observer Mme de Noailles sont possédées par l’amour comme par une espèce de frénésie. Dans la Nouvelle espérance Mme de Fontenay éprouve pour un certain Philippe Sorbier, professeur, une passion soudaine, inexpliquée, qui déconcerte les prévisions humaines et qui est parce qu’elle est. Le jour où elle apprend que son amant a femme et enfant, elle se demande quels droits peuvent bien avoir sur lui cette femme et ce fils. Cette maladie ne peut avoir qu’un dénouement funèbre : et c’est en effet au suicide qu’aboutit tout droit cette étrange personne. Dans le Visage émerveillé, c’est une religieuse qui succombe à l’amour, l’auteur ne peut avoir ignoré ce qu’un pareil sujet a de déplaisant, de pénible et de regrettable ; mais ne fallait-il pas montrer la religion elle-même faisant cortège à l’amour. Et la Domination est l’histoire d’un moderne Don Juan dans les bras de qui tombent aussi immanquablement les grandes dames, les femmes de chambre et les jeunes personnes bien élevées. Pour l’Inconstante de Gérard d’Houville, l’amour n’a pas ce caractère de fatalité, cette fièvre et cette violence dévastatrices : c’est un jeu, le plus agréable qui soit, et un jeu innocent.