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est le paradoxe du moment. Il passera, comme a passé la mode des culottes pour bicyclistes. C’est pourquoi nous serions désolés que Mme Tinayre s’attardât dans un genre dont elle a tiré tous les effets qu’il pouvait comporter, et nous souhaitons qu’au lieu de compromettre son talent dans ces « singularités » elle nous donne désormais les romans de véritable humanité qu’elle est capable d’écrire.

Demandez-vous en effet ce que peut être la femme, privée de tout ce qui avait fait jusqu’ici sa dignité et sa poésie, sa force et sa grâce. Nous hésiterions peut-être à l’écrire ; mais cet embarras nous est épargné, puisque ce sont nos romancières elles-mêmes qui ont soin de qualifier leurs héroïnes d’être des « femmes d’amour. » Demandez-vous ce que peut-être cet amour débarrassé de tout ce qui le gêne : un seul nom lui convient : c’est la sensualité toute nue. Mais alors je crains qu’une fois de plus, et au moment où elle se montre si jalouse de s’affranchir, la femme ne soit dupe. Car il s’en faut que ce genre d’amour là soit pour elle synonyme de libération : tout au contraire, ce qu’il lui prépare c’est la pire des servitudes. Il semble que nos romancières en aient — elles-mêmes ! — l’intuition, et qu’elles l’avouent dans leurs derniers livres. Si le roman de Mme de Noailles Domination veut dire quelque chose, il signifie que l’homme s’asservit la femme par les sens. C’est un cas de même espèce que nous présente l’Esclave de Gérard d’Houville. Une Mme Grâce Mirbel, créole de la Nouvelle-Orléans, a eu pour amant Antoine Forlier. Celui-ci, un beau jour, l’a quittée, sans raison, sans grief, sans explication ; il est resté pendant quatre ans sans donner de ses nouvelles. Il revient. Mme Mirbel a auprès d’elle un petit cousin, Charlie, qui l’adore. Ce malheureux, provoqué en duel par Antoine, est blessé grièvement : Mme Mirbel l’a vu tout saignant et gémissant. Donc, quand elle se retrouve en face de l’homme qui l’a abandonnée, trahie, outragée, humiliée, elle se jette dans ses bras, elle se cramponne à lui. « Orgueil, ressentiment, douleur, remords, loyauté, tendresse, tout était refoulé par l’amour triomphant. Sans lui, rien n’était plus. Antoine souleva la tête de l’amante reconquise. Il regarda tout au fond des yeux verts, et il comprit que la lutte était finie et que l’esclave amoureuse revenait au joug de son maître. » Mais quoi ! la « Rebelle » elle-même est obligée de convenir que sa rébellion expire devant la loi de nature. Quand elle s’abandonne à Noël Delysle, la félicité que Josanne éprouve, c’est celle de se sentir dominée, maîtrisée par lui. « Elle songeait avec délices : « Mon maître, mon maître chéri ! Je n’ai pas d’autre volonté que la vôtre. Je ne suis qu’une chose, une très petite chose dans vos