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manière d’exception, ou de prodige, dans l’histoire de l’art. Et c’est sans doute ce qu’aura craint aussi notre compatriote M. Henry Cochin, l’un des hommes qui, aujourd’hui, connaissent et comprennent le mieux le moine de Saint-Marc : car tandis que M. Douglas, et d’autres à sa suite, chez Fra Angelico ne prétendaient voir que le « peintre, » M. Cochin, dans l’étude nouvelle qu’il vient de lui consacrer, s’est tout particulièrement efforcé de nous le montrer comme un « saint. »


A cela, d’ailleurs, il était un peu tenu par le titre de la collection dont son livre devait faire partie ; et peut-être plus d’un admirateur de Fra Angelico sera-t-il surpris, — fort agréablement, — de trouver la vie du moine-peintre admise dans une Collection de pieuses vies de saints. Ce n’est nullement chose sûre, en effet, que le Frère Jean de Fiesole ait droit à cette qualité de « bienheureux » que lui prêtent, depuis quatre siècles, la tendresse et le respect des générations, M. Cochin nous dit bien que, dès 1590, le peintre Buti, qui travaillait pour un couvent dominicain, a représenté Fra Angelico avec des « rayons » autour de la tête, et que, au XVIIIe siècle, un moine érudit a inscrit « le bienheureux Jean de Fiesole » dans une liste des Saints et Bienheureux de l’Ordre des Prêcheurs. Mais non seulement nous n’avons aucune preuve formolle de la béatification de Fra Angelico : il ne semble pas même que cette béatification ait été reconnue, au XVe et au XVIe siècles, aussi universellement que nous sommes portés à le supposer. Lorsque, vers 1498, le jeune peintre qui va devenir Fra Bartolommeo introduit le portrait de Fra Angelico parmi les Saints de sa fresque du Jugement dernier, il destine ce portrait à représenter l’un des apôtres, suivant une habitude « naturaliste » qui avait été familière déjà à son grand devancier : mais pouvons-nous croire que le jeune élève de Savonarole, s’il avait tenu Fra Angelico pour un « bienheureux, » aurait consenti à lui faire jouer le rôle d’un autre saint, dans un groupe où il l’aurait su en droit de figurer personnellement ? Et si plus tard Vasari, lié comme il l’était avec les moines de Saint-Marc, avait connu de façon certaine la béatification de Fra Angelico, est-ce qu’il aurait commis l’irrévérence d’écrire qu’il « espérait » que l’âme de ce bon peintre était allée au ciel ? Légalement, la présence d’une Vie de Fra Angelico dans une collection des Saints ne sera tout à fait justifiée que lorsque le Saint-Siège aura réalisé le vœu du Chapitre général de l’ordre dominicain, qui, au mois de mai 1904, l’a supplié d’approuver le culte du moine de Fiesole : mais, dès maintenant, le petit livre de M. Henry Cochin se justifie très suffisamment