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par sa valeur propre, et par la merveilleuse beauté de son sujet. Jamais, à coup sûr, vie d’artiste n’a été plus vraiment « sainte » que celle qu’il nous raconte, ni racontée plus religieusement, avec un plus noble souci de ne nous émouvoir qu’au spectacle d’une âme toute pleine de Dieu.

M. Cochin s’est défendu, dans sa préface, d’avoir fait œuvre de critique d’art : cela signifie seulement qu’il a laissé à d’autres le soin d’énumérer, de classer, et d’analyser en détail la série des peintures de Fra Angelico. Il s’est borné à nous définir brièvement les grandes phases de l’évolution artistique du maître, telles que les avait fixées M. Langton Douglas ; et, après cela, il n’a plus pensé qu’à nous rendre, toute vivante, la figure de l’homme qui voyait et peignait de cette façon. Son livre, comme on pouvait l’attendre, est essentiellement une biographie. Et pourtant je ne saurais dire combien, à chaque page, l’auteur y a mis de réflexions historiques ou critiques qui, bien mieux que tous les argumens de M. Douglas, nous aident à comprendre l’art du peintre de Saint-Marc. Cet art lui est si familier, et si profondément cher, que sans cesse, presque à son insu, il complète ou corrige l’idée que nous en avons : soit que, par exemple, à propos du séjour de Fra Angelico à Cortone, il nous signale les influences siennoises qui ont dû agir sur lui, dès le début de sa carrière de peintre, ou encore qu’il nous instruise de tout ce qu’ont pu lui offrir de traditions ou d’exemples artistiques les écoles dominicaines de peinture et d’enluminure. Il y aurait ainsi à extraire, de la nouvelle « vie de saint » de M. Cochin, une foule de menus renseignemens, aperçus, et jugemens, qui mériteraient d’être joints, en appendice ou en note, à une traduction de l’ouvrage anglais de M. Douglas.

Mais l’objet principal du biographe français n’est pas là : il est à faire revivre devant nous l’homme qu’a été Fra Angelico. Et comme l’histoire, en fin de compte, ne nous apprend que fort peu de chose sur la vie du vieux moine, c’est aux alentours de cette vie, aux événemens religieux et politiques où elle s’est trouvée mêlée, que M. Cochin a demandé le supplément d’information dont il avait besoin. « Pour représenter la figure du grand peintre religieux, écrit-il dans sa préface, il m’a fallu réunir d’abord assez de traits pour que l’on pût apercevoir où et comme il vivait, quels hommes il fréquentait, pour quels hommes il travaillait, auprès desquels il passait. J’ai voulu établir autour de lui, si je puis dire, des paysages historiques. » Et certes la nouveauté, la vérité, la beauté de ces « paysages » suffiraient à excuser M. Cochin de nous les avoir dessinés, si même quelques-uns d’entre eux n’importaient