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Toutefois, il y a des degrés parmi les vainqueurs. Ceux qui l’ont été avec le plus d’abondance et d’éclat ne sont pas ceux qui montraient en eux-mêmes le plus de confiance : nous voulons parler des socialistes unifiés, ou indépendans. On a pu les compter dans la dernière Chambre à certains votes significatifs : ils étaient une cinquantaine, ils ne seront pas sensiblement plus nombreux dans la Chambre nouvelle. Ils ont fait quelques recrues, dont quelques-unes seront peut-être embarrassantes. C’est ainsi que M. Jules Guesdes va se retrouver côte à côte avec M. Jaurès : ces deux grands augures ne se sont pas toujours très bien entendus. La plupart des socialistes, qui s’étaient plus ou moins artificiellement « unifiés » avant les élections, reviendront sans doute après à leurs divisions naturelles. Mais c’est du présent seul que nous nous occupons aujourd’hui. Le parti socialiste qui a joué un si grand rôle dans la dernière Chambre, qui en a été le maître pendant quelque temps, qui a été celui du gouvernement, qui a essayé d’étendre sa domination sur le pays tout entier et a espéré y réussir, le parti socialiste reste sur ses positions, ni plus, ni moins. Il n’a pas grandi d’une manière sensible. En aurait-il été de même si les élections avaient eu lieu un peu plus tôt ? On peut faire à ce sujet des hypothèses, qui seraient d’ailleurs assez vaines. Il importe peu de savoir ce qui aurait pu être, en présence de ce qui est : mais il est certain que le parti socialiste a perdu moralement du terrain depuis quelque dix-huit mois. Les dangers qu’à tort ou à raison on a cru apercevoir dans la politique extérieure l’ont laissé par trop insensible, pour ne rien dire de plus, et il y a eu un désaccord qui a été, au contraire, par trop apparent entre le patriotisme du pays et celui de M. Jaurès. Le parti socialiste et son chef parlementaire ont alors décru rapidement en influence, et les radicaux qui s’intitulent socialistes ont éprouvé le besoin, sinon de se séparer d’eux, au moins de s’en distinguer assez nettement. Est-ce à cette attitude différente qu’ont eue les socialistes purs et les radicaux-socialistes à l’égard des grandes questions nationales qu’il faut attribuer leur fortune inégale devant le suffrage universel ? Cette inégalité de traitement a eu sans doute d’autres causes encore, mais celle que nous signalons a été une des plus actives. Quand on lit les professions de foi des radicaux, on est frappé de la chaleur qu’ils mettent à parler de l’armée. Ils l’aiment ! Ils n’ont jamais cessé de l’aimer ! Ils s’expriment à son sujet comme le pourraient les nationalistes eux-mêmes ! Ces protestations ont produit leur effet : les radicaux-socialistes sont en somme le seul parti qui ait gagné quelque chose aux élections du 6 mai. Ce qu’ils disaient de l’armée, ils le disaient